Le Parlement danois s'apprête à voter une loi permettant la saisie des biens des migrants au-delà de la somme de 10.000 couronnes, soit près de 1.340 euros. Comment comprendre une mesure aussi inique dans un pays vanté pour son modèle de protection sociale ? La réponse réside en partie dans les caractéristiques mêmes de ce modèle : lorsqu'un chômeur épuise ses deux années d'assurance-chômage, il doit s'en remettre à l'aide sociale de la commune. Celle-ci peut la conditionner à ce que le bénéficiaire dispose d'un patrimoine inférieur à 10.000 couronnes. Bien sûr, pas de spoliation des biens au-dessus de ce seuil, mais le gouvernement danois, sous la pression d'un parti populiste, est prêt à franchir le pas en ce qui concerne les migrants !
Derrière sa réputation de générosité, le Danemark soumet ainsi certains chômeurs à des contraintes fortes, en théorie afin de les inciter à chercher activement un emploi. Est-ce efficace ? Une étude des économistes Lyk-Jensen et Dohlmann Weatherall, réalisée sur la période où la durée d'indemnisation était encore de quatre ans, semble montrer que la menace fonctionne : la probabilité de retrouver un emploi bondit six mois avant la date couperet d'arrêt des allocations chômage. Pour autant, il est difficile de penser qu'il puisse être efficace d'obliger une personne sans emploi à vendre ses biens, sa voiture voire son appartement, puis à consommer son épargne jusqu'à ne posséder pas plus de 1.340 euros. La fragilité économique n'aide pas au retour à l'emploi, bien au contraire, posséder une voiture peut constituer un atout, et cela est tout aussi vrai lorsqu'il s'agit de migrants !
Le rôle des incitations mises en place par les politiques publiques est une question essentielle. Certaines mesures sont contre-productives. La réforme Balladur du régime des retraites a instauré en 1993 des pénalités afin d'inciter les Français à travailler trente mois de plus. Celles-ci se sont révélées excessives, face à une population ne parvenant pas à retrouver un emploi, et François Fillon a dû déconstruire, dix ans après, ce dispositif. D'autres sont faciles à contourner, et cela vaut en particulier pour celles pesant sur les entreprises. Ainsi, la « taxe » sur les CDD mise en place par le gouvernement Ayrault a eu bien peu d'effets en raison des nombreuses exemptions qui permettent d'y échapper.
Il s'agit de pouvoir disposer d'un marché du travail qui incite - et aide - les individus à se former et à accéder à un emploi, les entreprises à embaucher dans la durée. La réponse face au niveau exceptionnel du chômage ne peut passer par des modifications a minima du système, à l'instar des deux mesures mentionnées précédemment. C'est pourtant ce que préconise la Cour des comptes, lorsqu'elle s'alarme du déficit de l'Unédic et recommande simplement aux partenaires sociaux de modifier à la marge la durée et les montants d'indemnisation. C'est également le jeu de nos gouvernements, qui se contentent d'expédients, souvent le rajout d'un dispositif juridique - nouveau mode de rupture ou contrat plus flexible, sans oser s'attaquer véritablement à la formation professionnelle, aux allocations chômage, au contrat de travail à durée indéterminée…
La solution réside dans une réforme d'envergure, en identifiant quelques bonnes pratiques sans pour autant vouloir coller à un modèle - par exemple, retenir certains traits de la flexisécurité danoise, s'inspirer du système de bonus-malus américain taxant les entreprises qui licencient, afin de financer l'Unédic… Et ce, dans la concertation, afin de décider du degré de protection à apporter aux employés et chômeurs, en les incitant au retour à l'emploi sans les laisser sombrer pour autant dans la précarité.
Rien de tel dans le plan Emploi du gouvernement. Annoncer une prime temporaire à l'embauche sur les bas salaires, ou une mesure exceptionnelle en faveur de la formation, revient à reconnaître l'existence d'un problème structurel tout en renonçant à s'y attaquer sérieusement.
Article publié dans Les Echos.fr