Interview accordé à Mariane le 15 septembre 2020
Marianne : Dimanche 13 septembre, le ministre néerlandais des Finances, Wopke Hoekstra, a déclaré que "la survie d'Air France-KLM" n'était "pas acquise", si la compagnie aérienne ne réduisait pas suffisamment ses coûts. Est-ce le cas, selon vous?
Marc Ivaldi : A court et moyen terme, il n’est pas raisonnable de penser qu’Air France-KLM va se retrouver en banqueroute. Car l’Etat français, notamment, a dit qu’il défendrait Air France coûte-que-coûte.
Cela n'exclut toutefois pas que des efforts et des baisses de coûts soient demandés (licenciements, réductions de salaires ou hausse de la productivité). Mais ceux-là ont en fait déjà été engagés du côté d'Air France – la compagnie a annoncé début juillet la suppression de plus de 7.500 postes d’ici à la fin 2022, ndlr. En outre, certains efforts sont tout à fait exceptionnels : jamais on n'aurait pu imaginer que les pilotes d’Air France accepteraient de telles baisses de salaires ! Par ailleurs, tout est fait chez Air France pour que la baisse des coûts soit répercutée sur les prix des billets afin de maintenir l’activité et de l’emploi.
C’est pourquoi je ne crois pas qu’il faille donner une grande importance à la déclaration du ministre Wopke Hoekstra. On a l’habitude que l’État néerlandais veuille se montrer plus vertueux que l’État français. C’est un coup de pression : un épisode de plus dans les relations tumultueuses entre la France et les Pays-Bas dans la gestion du dossier Air France-KLM.
Tout de même, les difficultés semblent durables pour le groupe, tant la crise récente a changé les pratiques des voyageurs…
Pour bien comprendre, il faut dégager deux phénomènes qui vont se produire dans les prochains mois : d’abord, la baisse attendue des revenus des ménages va réduire la demande de trajets pour le tourisme aérien, même si je pense que quand la crise économique sera passée, les vols longue distance reprendront. Il faut donc s’attendre à une reprise tardive pour les compagnies : 2023, 2024 ou 2025.
Le problème, c’est que les voyages d’affaires, qui génèrent les marges les plus élevées, vont être plus plus durablement affectés par le développement en parallèle des technologies de vidéoconférences qui marchent déjà très bien. Pour beaucoup d’entreprises, cela permettra de réduire les coûts. Est-ce que la baisse des voyages d’affaires attendra 5%, 10% ou 15% ? C’est encore impossible à dire. Mais on peut d’ores et déjà avancer que le télétravail affectera davantage le transport aérien que les transports publics urbains.
J’ajoute que lorsque ce secteur entrera dans sa phase de reprise, les compagnies d'Air France-KLM ne pourront pas investir autant qu’elles le voudront. Car il faudra bien qu’elles remboursent les prêts garantis par les Etats (7 milliards de l’Etat français et 3,5 milliards des Pays Bas). D'ici là, il faudra donc qu’elles se transforment : je pense qu’il va y avoir une transition vers un modèle plus low cost. Donc à court et moyen terme, les compagnies vont de toute façon devoir baisser leurs coûts.
Quid des mesures visant à assurer la transition écologique, qui pourraient elles aussi limiter l’activité des compagnies aériennes ?
D’abord, il faut savoir qu’il y a déjà une pression des compagnies aériennes sur les constructeurs pour qu’ils produisent des avions qui consomment moins et donc polluent moins, afin de générer in fine des économies. Concernant les taxes écologiques, si l’on applique par exemple la proposition de la Convention citoyenne de faire passer l'écotaxe sur le transport aérien de 1,5 à 30 euros par billet (pour les vols de moins de 2.000 km en classe éco), je pense que les gens ne monteront plus dans les avions, et que cela mettra en faillite des entreprises. Est-ce que cela réduira en parallèle les émissions de CO2 ? Je n’en suis pas certain : le transport aérien ne représente que 2 % de l’empreinte carbone mondiale. Diviser celle-ci par deux ne fait donc économiser qu’1 % d’émissions au total. Je ne dis pas qu’il ne faut pas appliquer ce genre de taxes. Mais leur effet sur les émissions de CO2 sera relativement négligeable.