Quel enseignement retirer de la crise épidémique actuelle pour notre politique de santé ? En particulier, y a-t-on suffisamment consacré de ressources ? La France se place en troisième position mondiale en matière de dépenses de santé (rapportées au produit intérieur brut). Celles-ci augmentent généralement à un rythme plus élevé que la croissance économique : leur part dans la consommation croît au cours du temps, l'innovation médicale permettant de soigner toujours mieux et davantage. Pouvoir dépenser de plus en plus pour notre santé suppose d'éviter tout gaspillage, en encadrant correctement les activités engagées par le corps médical.
Solution de facilité
La crise de l'hôpital résulte de ce que les derniers gouvernements ont choisi la solution de facilité pour contrôler les dépenses. Il est aisé de plafonner les dépenses hospitalières, quitte à diminuer la valeur attribuée à chaque acte médical comme l'a instauré la réforme de 2004 de la tarification à l'activité. Cela a conduit à une augmentation des cadences de travail pour multiplier les actes tarifés, d'où une dégradation des conditions de travail du personnel paramédical rendant plus difficile les recrutements, et cette incapacité à recruter a conduit les hôpitaux de Paris à fermer malgré eux 900 lits en 2019 ! In fine, la progression des dépenses à l'hôpital a atteint un point bas historique, sous la barre des 1 % en 2018, tandis que celles de la médecine de ville continuent à déraper faute d'une régulation adéquate. Il faut corriger rapidement cette situation, mais aussi s'interroger sur l'objectif : les dépenses de santé stagnent depuis la crise sous la barre des 12 % du PIB, cela ne pourra durer éternellement.
La pandémie met en relief la fragilité de nos hôpitaux , mais pose une autre question essentielle : comment anticiper les futures crises ? Le monde a connu trois pandémies mondiales au XXe siècle, ce qui a conduit des experts à considérer qu'un tel évènement allait survenir tous les trente ans. La dernière en date, le H1N1, s'est révélée moins sévère que prévu, mais en reprenant les chiffres de l'Organisation mondiale de la santé, il fallait bien s'attendre à voir émerger à moyen terme une pandémie capable de causer plus de 100.000 morts en France.
Exercice cornélien
Le « principe de précaution » inscrit dans la Constitution exige « l'adoption de mesures proportionnées afin de parer à la réalisation d'un dommage ». Un exercice délicat, cornélien, qui revient à déterminer l'effort que la collectivité est prête à faire pour limiter l'impact de tels événements : investir afin de sauver potentiellement des vies futures, c'est renoncer à d'autres investissements qui pourraient sauver des vies aujourd'hui avec davantage de certitude. Pour cela, les économistes estiment régulièrement dans l'ensemble des pays à travers le monde la « valeur statistique de la vie humaine ». Choquant au premier abord, ce terme, qui désigne simplement les efforts qu'une société engage pour sauver en moyenne une vie, est estimé en France à 3 millions d'euros.
Un calcul simple permet de voir que les enjeux sont tels que la France aurait dû être prête à dépenser des centaines de millions d'euros par an dans des mesures susceptibles de sauver une fraction même faible des vies menacées. Conserver nos capacités de production et de stockage de masques FFP2 en faisait sans doute partie. Il faudra dorénavant réaliser des évaluations chiffrées et transparentes des dispositifs de prévention, car d'autres crises sanitaires et environnementales sont devant nous !
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