L'économie peut-elle expliquer la montée du populisme dans les pays développés, en particulier aux Etats-Unis après la victoire de Donald Trump ? D'aucuns mettent en avant la tendance des réseaux sociaux à relayer de fausses informations, mais une telle évolution politique a des racines plus profondes, liées notamment à la crise financière récente. Les travaux des économistes Atif Mian et Amir Sufi sur la bulle immobilière américaine apportent un éclairage particulièrement intéressant, synthétisé dans leur récent ouvrage «House of debt».
Ils remettent en cause le diagnostic porté aux Etats-Unis sur ce que l'on appelle désormais la «grande récession». En utilisant des données très fines à un niveau géographique, leurs travaux démontrent un enchaînement implacable. Le retournement du marché immobilier ruine les ménages qui s'étaient endettés pour acheter un logement.
Le phénomène est très localisé : dans certains comtés, plus de la moitié des ménages se retrouvent avec une dette immobilière supérieure à la valeur de leur logement, et réduisent en conséquence leurs dépenses. La chute de la consommation y est principalement le fait des plus pauvres et des plus endettés, mais l'ensemble de l'économie américaine va en être affecté : un Etat comme le Tennessee n'est pas touché par la crise immobilière, mais plus de 30.000 employés de l'industrie automobile y seront rapidement licenciés.
La peur d'un rationnement du crédit
Tant la présidence Bush - jusqu'en 2008 - que celle d'Obama se seraient donc lourdement trompées face à la crise financière, en se contentant pour l'essentiel de venir au secours des banques de peur d'un «rationnement du crédit». Rétrospectivement, celui-ci n'a pas eu lieu : la fraction des PME déclarant avoir des difficultés d'accès au crédit est restée faible, et a même baissé durant la crise.
Les interventions de la Réserve fédérale et du Trésor américain étaient certes justifiées pour prévenir une panique bancaire et éviter un blocage du crédit, mais il aurait dû se contenter de leur apporter de la liquidité. Le gouvernement américain est allé plus loin en soutenant les actionnaires des banques, alors qu'il fallait plutôt aider les propriétaires de logement en effaçant une partie de leurs dettes !
Poids des lobbies et de l'électorat populaire
Les politiques des deux bords se seraient comportés également de manière irresponsable face à la formation de la bulle immobilière entre 2000 et 2007. A. Mian et A. Sufi analysent les déterminants du vote des membres du congrès lors du passage de textes de loi venant faciliter ou limiter le développement du crédit auprès des populations les plus pauvres.
Deux facteurs semblent jouer un rôle significatif : le financement de la campagne électorale d'un parlementaire par l'industrie du crédit hypothécaire et le poids dans sa circonscription de l'électorat populaire susceptible de bénéficier d'un accès facilité au crédit. Plutôt que de prendre des décisions dans l'intérêt général, les élus se seraient ainsi laissé influencer par les lobbies et par leur base politique locale.
Question éthique
Cette histoire explique en partie la montée des tensions politiques. En 2011, près de 11 millions de foyers étaient encore «sous l'eau», à devoir rembourser un crédit excédant la valeur de leur logement, et sont certainement très remontés contre leur classe politique ! C'est aussi une question éthique : lorsqu'une banque collecte les fonds d'épargnants aisés pour les prêter à un ménage pauvre désireux d'accéder à la propriété, ce dernier supporte seul le risque d'une baisse du prix de son logement alors même que celui-ci constitue son seul patrimoine.
Comme le suggèrent les auteurs de l'ouvrage, la solution réside sans doute dans une meilleure mutualisation des risques, en indexant les remboursements des prêts immobiliers sur les conditions du marché du logement. Le même mécanisme pourrait être appliqué aux prêts étudiants. Mieux protéger la population la plus fragile serait ainsi le moyen de disposer d'une économie davantage résiliente et d'un climat politique plus serein.
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