La commission présidée par l'économiste Alain Quinet vient de mettre à jour la valeur de la tonne de carbone pour atteindre la neutralité en 2050. Des travaux qui devraient systématiquement guider l'action de l'Etat, explique Frédéric Cherbonnier.
La France s'est engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050, c'est-à-dire à limiter nos émissions de gaz à effet de serre à ce que peuvent absorber nos « puits de carbone ». Pour le faire à moindre coût, elle se dote d'un référentiel indiquant chaque année jusqu'à combien dépenser pour éviter d'émettre une tonne de CO2 supplémentaire. Une commission présidée par l'économiste Alain Quinet (à laquelle a participé l'auteur de cette chronique) vient de mettre à jour cette « valeur de l'action pour le climat ». Elle atteint 256 euros en 2025, puis augmentera progressivement pour atteindre 563 euros en 2050, à comparer à 62 euros la tonne actuellement sur le marché européen.
Par rapport aux dernières estimations de 2019, la proposition de la commission Quinet revient à accélérer le rythme de la transition écologique avec, désormais, un niveau plus élevé de la valeur carbone (256 euros contre 187 précédemment) et un rythme de croissance plus faible par la suite. Cela résulte d'un travail d'optimisation pour répartir au mieux les efforts dans le temps en tenant compte du progrès technologique à venir. La commission s'est appuyée sur une règle vieille de près d'un siècle, de l'économiste Harold Hotelling, expliquant à quelle vitesse consommer une ressource rare. Il s'agissait alors de ne puiser que progressivement dans le stock d'énergie fossile (charbon, pétrole). Aujourd'hui, la ressource rare est notre budget carbone, soit la pollution supplémentaire que l'on s'autorise à émettre afin de respecter les accords de Paris.
Ces travaux devraient systématiquement guider l'action de l'Etat. Celui-ci met en place une stratégie en matière de décarbonation (la Stratégie nationale bas carbone) et de politique énergétique (la Programmation pluriannuelle de l'énergie). Elle doit guider l'évolution du mix énergétique et l'évolution des efforts dans le temps entre les différents secteurs. La commission Quinet en a tenu compte, en retenant notamment les objectifs plus ambitieux fixés pour 2030. Mais les choix structurants contenus dans ces stratégies devraient faire l'objet d'un travail d'optimisation tenant compte des incertitudes sur les différentes solutions technologiques, en lien étroit avec le travail réalisé par la commission Quinet. On en est loin ! Il faut reconnaître cependant qu'il s'agit d'une question très complexe, et que la France peut se targuer d'aller déjà très loin dans la réflexion économique lorsqu'elle élabore sa stratégie écologique, bien davantage que la plupart de nos partenaires.
Plus grave, l'Etat n'utilise pas ces valeurs du carbone pour calibrer les mesures qu'il met en place. Dans un monde idéal, il suffirait de faire payer cette valeur aux pollueurs via une taxe carbone, mais ce n'est pas réaliste pour des raisons essentiellement politiques. En particulier, l'Etat semble incapable de s'engager à maintenir dans le temps une taxe carbone suivant la trajectoire annoncée, ce qui n'envoie pas les bonnes incitations aux investisseurs : pourquoi investir dans une énergie renouvelable si l'on ne croit pas dans l'avenir de la politique climatique ?
Subventions à l'investissement
L'alternative est de mettre en place des subventions à l'investissement, des contraintes réglementaires et des tarifs de rachat des énergies renouvelables, en complément d'un soutien public à l'innovation dans les technologies « vertes ». Pour le seul soutien à l'électricité renouvelable, les engagements de l'Etat dépasseraient aujourd'hui plus de 100 milliards d'euros.
Mais un rapport récent de la Cour des comptes calcule le coût des différents dispositifs de soutien aux énergies renouvelables (ramené en euros par mégawattheure) et montre que celui-ci varie d'un facteur de 1 à 10 selon l'énergie considérée ! Dans ces temps de contrainte budgétaire, il est indispensable que ces dépenses soient soumises à une analyse économique s'appuyant sur le référentiel établi par la commission Quinet.
Article paru dans Les Echos, le 9 avrill 2025, no. 24439
Illustration: Photo de Damian Park Kim sur Unsplash