Notre système de prise en charge de la dépendance a le mérite de venir en aide aux ménages peu aisés, mais il laisse la majeure partie de la population sans véritable assurance. Il faut d'urgence trouver des moyens de financement.
En matière de couverture des risques, on considère généralement qu'il faut prendre en charge tous les frais à partir d'un certain seuil, et laisser un petit reste à charge à l'assuré sur ses premières dépenses afin de le responsabiliser. C'est le cas en matière d'assurance- maladie, l'idée sous-jacente étant que des dépenses importantes correspondent à de véritables besoins, identifiés par le secteur médical pour résoudre un problème de santé. Inutile de chercher à responsabiliser le patient à ce stade, il faut plutôt inciter les médecins à ne pas engager de soins inutiles.
Une solution imparfaitement mise en oeuvre en France : le reste à charge y est en moyenne de 10 %, mais la population la plus pauvre subit des frais plus élevés faute de bénéficier d'une complémentaire, et le mode de rémunération de la médecine de ville et des hôpitaux pousse à la surconsommation, si l'on en croit notamment les déclarations de la ministre de la Santé selon laquelle 30 % des dépenses ne seraient pas pertinentes.
Le risque « dépendance » appelle en théorie à une solution opposée : la couverture quasi-intégrale de toutes les dépenses jusqu'à un certain seuil. Il ne s'agit pas d'une maladie, mais d'un problème requérant des solutions plus standardisées qu'un traitement médical : heures d'assistance à domicile ou hébergement dans un institut médicalisé. Dès lors, il est davantage pertinent de traiter ce risque par une assurance « indemnitaire », finançant entièrement un plan d'aide défini par une équipe médico-sociale. Libre ensuite à la personne dépendante ou à ses proches d'engager des dépenses supplémentaires pour bénéficier d'une aide plus intensive à la maison, ou choisir un institut médicalisé de haut standing.
S'assurer de la qualité de l'offre
La difficulté ici n'est pas tant de lutter contre les dépenses inutiles que de s'assurer de la qualité de l'offre - éviter de voir se conjuguer une offre publique limitée faute de moyen et une offre privée trop chère à la qualité aléatoire, complétées par une masse de travailleurs au noir peu qualifiés et en situation précaire.
Le système mis en place en France reste très éloigné de cet idéal. L'allocation personnalisée d'autonomie couvre la quasi-intégralité des dépenses liées à la dépendance pour des personnes à faible revenu, mais le reste à charge devient vite très élevé à partir du revenu médian. La situation est encore pire pour les frais d'hébergement en Ephad, seuls les individus sans ressource pour se loger pouvant bénéficier de l'aide sociale à l'hébergement. D'où une situation financièrement très difficile pour les familles dès lors que l'un de leur proche est en dépendance lourde et que celles-ci ne peuvent mobiliser une épargne suffisante.
Le coût peut facilement atteindre les 2.000 voire 3.000 euros mensuels alors que, dans le meilleur des cas, l'aide publique ne prendra en charge guère plus de la moitié de ces dépenses. La réponse française a le mérite de venir en aide aux ménages peu aisés, et d'éviter ainsi des situations dramatiques, mais laisse la majeure partie de la population sans véritable assurance. D'autres pays comme l'Allemagne ou l'Autriche ont adopté des systèmes proches d'une assurance « indemnitaire », fondés sur des aides forfaitaires indépendantes du revenu - mais le montant de cette aide reste nettement insuffisant.
Tout ceci nous ramène à la question du financement. Le budget public consacré à la dépendance n'est pas à la hauteur des enjeux en France. L'assurance privée s'y est fortement développée, mais elle est incapable de répondre de façon satisfaisante à la demande pour des raisons structurelles, liées notamment à ce qu'elle ne va capter qu'un segment trop étroit du marché tant que celle-ci n'est pas rendue obligatoire. Il faudrait pouvoir à terme presque doubler le budget consacré à la dépendance pour se rapprocher de ce qui se fait dans des pays comme la Norvège, les Pays-Bas ou le Danemark. Une deuxième journée de solidarité , après le lundi de Pentecôte, est une première étape. Cela n'y suffira pas !