L’épidémie de covid-19 est une crise sanitaire et économique majeure qui remet en cause les principes même de mondialisation et de globalisation. Comment faire en sorte que nos systèmes économiques mondiaux et interdépendants soient plus adaptés à ce type de crises ?
«.. le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant ». Cette phrase prononcée le 16 Mars 2020 par le Président de la République suppose un changement de nos analyses et de nos comportements dans de nombreux domaines où nous étions sans doute allés trop loin. C’est particulièrement le cas dans celui de la mondialisation ou de la globalisation, qui ont pu exploser grâce à la diminution rapide des coûts de transport. Mais que les coûts de transport deviennent tout à coup infinis, et tout s’arrête. C’est ce qui nous est arrivé, l’épidémie de coronavirus jouant le rôle de coupe-circuit. Nous nous rendons compte que nous sommes tous dépendants.
Repenser la demande
Que faire le jour d’après ? Certainement pas se replier et fermer nos frontières, ce serait revenir au Moyen-âge. Mais il faut contrôler la globalisation tout comme la mondialisation. Il est possible de résoudre la plupart des pénuries par une diminution de la demande, de nombreuses consommations non essentielles pouvant être réduites, voire supprimées sans nuire profondément à notre qualité de vie et surtout à notre vie. Une première réflexion individuelle sur nos comportements de consommation de ces biens serait donc salutaire.
Le risque de l’interdépendance sanitaire
Mais il en est tout autrement pour d’autres secteurs. On pense à la sécurité sanitaire : la pénurie de médicaments étant une véritable menace potentielle pour la santé publique. Cette menace, particulièrement présente aujourd’hui, ne date pas de la crise actuelle. Nous avons par exemple appris il y a quelques mois que la société américaine Medtronic avait décidé d'arrêter la fabrication des pompes à insuline implantables, vitales pour certains diabétiques de type 1, au cours du deuxième semestre 2020. Cela n’a pas ému grand monde, à part les patients concernés bien sûr et leurs médecins. Il faut dire que ce marché détenu par la seule société Medtronic est tout à fait confidentiel avec 397 patients équipés de cette pompe dans le monde. La récente rupture de stock de l’ancienne formule du Levothyrox produit par le seul laboratoire Merck a par contre eu un retentissement mondial. Deux exemples parmi bien d’autres : les signalements de ruptures de stocks et tensions d’approvisionnement pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur sont passés de 600 en 2018 à1200 en 2019. On apprend avec stupeur que 80% (contre 20% il y a trente ans) des principes actifs pharmaceutiques utilisés en Europe sont fabriqués en Asie, essentiellement en Chine et Inde (dépendance sur laquelle l’Académie nationale de pharmacie avait déjà lancé une alerte en 2011 puis en 2013 et 2018), que 60% du paracétamol et 90% de la pénicilline mondiaux sont produits en Chine.
Changer les modèles
Le résultat de la mondialisation ? Certes, mais surtout le résultat des défaillances de marché. Ricardo et autres théoriciens du commerce international affirmaient que tout le monde était gagnant dans l’échange international. Ils n’avaient pas (tout à fait) tort dans un monde de concurrence pure et parfaite. Mais ce monde n’existe plus depuis longtemps, s’il a jamais existé. Nous vivons dans un monde de rendements croissants qui entraînent la formation de monopoles voire d’oligopoles mondiaux qui n’a rien à voir avec le covid19. Celui-ci n’a fait qu’exacerber les conséquences des défaillances de marché qui ne sont pas compatibles avec les exigences de sécurité sanitaire.
L’épidémie que nous traversons doit faire changer les modèles. Nous avons besoin de régulation dans certains secteurs essentiels, de façon générale ceux pour lesquels l’élasticité-prix des biens est nulle, afin d’y établir une autosuffisance. Bien sûr, cela doit se faire au niveau européen, ne serait-ce qu’à cause des rendements croissants diraient les cyniques, mais pas seulement. Nous avons l’exemple de la PAC créée en 1962, par la suite tellement critiquée, mais qui a rendu l’Union européenne autosuffisante. Un premier pas a été fait puisque la semaine dernière la Commission européenne a annoncé la création d’une réserve stratégique de matériel médical et lancé, « pour réduire les coûts et éviter la concurrence entre Etats », un appel d’offre européen de masques, respirateurs et tests de dépistage. Le but est de stocker la réserve, avec un budget initial de 50 millions d’euros, ensuite « répartie entre les 27 pays selon les besoins ». Il faut espérer que cette saine solidarité ne s’étiole pas peu à peu les jours d’après, et que les leçons de cette crise seront retenues.