La rapidité impressionnante avec laquelle les épidémiologues se sont penchés sur les causes et les effets du Covid-19 trouve son pendant dans la vitesse de la parution d’études sur l’impact économique du virus, à la lumière de crises précédentes.
Mais, en l’occurrence, la crise financière de 2008, dont tout le monde se souvient, n’est pas un modèle pertinent. En 2008, il y a eu une baisse d’activité pour des raisons de déséquilibre financier, et l’enjeu consistait à inciter les entreprises à maintenir leur niveau d’activité malgré leurs problèmes d’accès au crédit.
En 2020, l’enjeu est différent : beaucoup d’entreprises doivent réduire leur activité pour ralentir la maladie, parce qu’elles accueillaient du public (restaurants, salles de spectacle) ou un nombre important de travailleurs (usines, bureaux). Le dé est donc de faire baisser l’activité pendant une certaine période, en laissant les entreprises en assez bon état pour rebondir ou, inversement, apporter des ressources productives aux entreprises qui produisent des biens et services indispensables pour combattre la maladie (ventilateurs, masques, tests, services de santé).
Baisse du PIB de 6 % en moyenne
La crise précédente la plus similaire est donc celle de la grippe espagnole, de 1918 à 1919. Une étude compare 43 pays touchés par l’épidémie pour estimer l’impact de la mortalité sur l’activité économique (« The Coronavirus and the Great Inuenza Pandemic », Robert Barro, José Ursua et Joanna Weng, Working Paper n° 26866, National Bureau of Economic Research). La pandémie avait tué environ 2 % de la population mondiale, un taux de mortalité bien plus élevé que les pires prévisions actuelles sur le Covid-19. Et la baisse du PIB avait été en moyenne de 6 %, ce qui laisse prévoir un impact plutôt modéré sur l’économie après la panique initiale.
Mais les pays comparés étant très différents – l’économie des Etats-Unis n’était pas celle de l’Inde, un des pays les plus gravement touchés en 1919 ! Il est donc utile de regarder une autre étude qui compare entre eux les Etats américains, qui ont été touchés différemment par la grippe (« Pandemics Depress the Economy, Public Health Interventions Do Not : Evidence from the 1918 Flu », Sergio Correia, Stephan Luck et Emil Verner, SSRN, 26 mars 2020).
Celle-ci estime que la pandémie a réduit la production manufacturière de 18 % en moyenne (ce qui est compatible avec les chiffres de l’étude précédente, car les usines représentaient alors moins de la moitié du PIB). Cette baisse fut le résultat de facteurs liés à l’offre (notamment l’interruption des chaînes d’approvisionnement et l’absence de main-d’œuvre), mais aussi à la demande (surtout la baisse d’achats de biens durables).
Technologies résistantes à la maladie
Les auteurs tirent aussi deux leçons sur les interventions sanitaires des autorités dans les différentes grandes villes. La première est que les villes qui ont réagi plus rapidement et avec plus de fermeté ont subi proportionnellement moins de décès. La deuxième, plus surprenante peut-être, est que ces mêmes villes ont vu une baisse moins grave de leur activité économique. En somme, il n’y a pas eu d’arbitrage entre santé et activité économique. Les mesures les plus efficaces pour réduire la mortalité sont aussi celles qui ont réduit l’ampleur du choc économique induit par la pandémie.
On peut s’interroger, certes, sur la pertinence des circonstances d’il y a un siècle sur les dégâts à prévoir en 2020. Les chaînes de logistique sont plus longues, les process de production plus complexes et, peut-être, plus fragiles au XXI e siècle. Mais cette complexité est aussi le fruit de technologies qui sont elles-mêmes plus résistantes aux maladies – les robots et les logiciels de logistique n’attrapent pas le Covid-19. Quant aux virus informatiques, nous y sommes déjà habitués…
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