L'Europe est aujourd'hui face à un choix historique : elle doit se décider à rester sur un status-quo, malgré la situation actuelle, ou à prendre des décisions, nécessaires et courageuses, afin d’achever le processus de construction entamé il y a plus de soixante-dix ans. L’Europe sera-elle à la hauteur de la crise ?
La pandémie liée au COVID-19 pose un énorme défi aux dirigeants européens mais elle leur offre également une occasion unique de franchir une nouvelle étape dans le processus d'intégration européenne. Les pays membres doivent être prêts à transférer une partie de leur souveraineté, du niveau national vers le niveau européen, sur un plus large éventail de questions. C'est l'élément clé pour garantir le succès de la proposition d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel du 18 mai visant à créer un fonds de relance européen, financé par des euro-obligations et contrôlé par une institution européenne.
Les euro-obligations ou Coronabonds, ne sont pas une idée nouvelle. Ils ont déjà été proposés comme outil pour répondre à la crise de la dette souveraine européenne de 2010 qui a touché principalement les pays du sud de l'Europe. À l'époque, l'Allemagne, déjà représentée par Angela Merkel, faisait partie des pays qui n'étaient pas favorables à la constitution d'un instrument de mutualisation de la dette au sein des nations européennes. Le pays s'est fermement opposé à la création d'obligations garanties par tous les pays de la zone euro. Son ministre des finances de l’époque, Wolfgang Schäuble, a renforcé la position de l'Allemagne en faisant valoir qu'une dette européenne commune permettrait aux gouvernements directement touchés par la crise de la dette de la zone euro d'échapper à des politiques budgétaires responsables.
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"Cette fois-ci, c'est différent". La crise de la dette souveraine européenne de 2010 a été un choc spécifique à chaque pays. Le COVID-19 est un choc commun qui pourrait précipiter l'Europe dans une récession sans précédent. Les prévisions du FMI pour 2020 concernant la croissance du PIB réel montrent des taux négatifs élevés non seulement pour l'Espagne et l'Italie, mais aussi pour la France, l'Allemagne et les Pays-Bas (voir figure 1). Pour faire face à la crise, les gouvernements ("vertueux" compris) ont mis en œuvre d'énormes programmes fiscaux qui les ont éloignés des critères de Maastricht (voir Fig. 2). Cette volonté de sauver l’économie « à tout prix » aura un coût (voir Fig. 3) qui ne doit pas mener à un niveau d'endettement insoutenable.
Une réponse commune est nécessaire. La proposition franco-allemande va dans ce sens ; elle appelle à une mutualisation de la dette entre les pays européens par la création d'une dette européenne commune qui sera remboursée par tous les pays membres et pas seulement par les pays qui en bénéficieront le plus. Le 27 mai, Mme von der Leyen a adopté la position franco-allemande et a annoncé le programme "Next Generation" européen.
Les quatre pays "vertueux" doivent comprendre que, pour que l'Europe survive et renaisse, le coût fiscal de la crise actuelle doit être réparti entre tous les pays. Le fonds de relance et les Coronabonds sont les outils pour y parvenir. A la différence de 2010, les "vertueux" vont eux aussi être confrontés à une augmentation remarquable du ratio dette/PIB (voir figure 4). Si sauver les pays très endettés aurait coûté cher en 2010, ne pas les sauver coûtera encore plus cher aujourd'hui.