Professeur Alexandre de Cornière soutiendra ses travaux pour l’habilitation à diriger des recherches (HDR) en Sciences économiques le vendredi 18 octobre à 11h00, en visioconférence (zoom).
Titre : "Essays in Digital Economics and Competition Policy"
Pour assister à la soutenance, merci de contacter le secrétariat Christelle Fotso Tatchum.
Membres du jury :
Patrick Rey: Professeur d'économie , Université Toulouse Capitole - TSE
Bruno Jullien : Directeur de recherche CNRS - TSE
Volker NOCKE : Professeur d'économie, University of Mannheim
Claire Chambolle Directrice de recherche, INRAE/Paris Saclay
Giacomo CALZOLARI : Professeur d'économie, European University Institute
Résumé
Dans le domaine de l'économie numérique, mes recherches couvrent trois thèmes principaux : la stratégie des plateformes, l’économie des données et la politique de concurrence. Ces thèmes sont évidemment lies et ont connu un regain d’intérêt remarquable ces dernières années. Ci-dessous, je positionne mes travaux existants dans chacun de ces thèmes et décris certaines des voies de recherche que je prévois de poursuivre.
Stratégie des plateformes
Conception des plateformes. Dans mes premiers travaux, je me suis concentré sur l’utilisation de stratégies non tarifaires par les plateformes, que je qualifie de conception des plateformes. Dans de Cornière (2016), et de Cornière and De Nijs (2016), j’ai étudié les plateformes publicitaires (moteurs de recherche ou échanges publicitaires) et me suis concentré sur la manipulation stratégique de l’information concernant la correspondance entre les annonceurs et les consommateurs. Dans les deux articles, il peut être optimal pour la plateforme d’empêcher une transmission efficace de l’information afin de relâcher la concurrence entre les annonceurs (par différents mécanismes) et d’en extraire le profit correspondant. Dans de Cornière and Taylor (2014; 2019), et de Cornière and Sarvary (2022), nous considérons les interactions entre une plateforme dominante et des tiers (éditeurs web) qui sont des compléments à la fonctionnalité “principale” de la plateforme (moteur de recherche, réseau social), mais des substituts à ses services “annexes” (sites web intégrés, contenu généré par les utilisateurs). Là encore, ces articles mettent en avant le rôle d’un instrument non tarifaire, à savoir l’algorithme de recommandation, dans la structuration des interactions entre les différents acteurs. Une question que j’aimerais étudier concerne la gestion de l’innovation par les plateformes. Le succès d’une plateforme dépend en grande partie de sa capacité à favoriser un écosystème dynamique, et elle peut employer une variété d’outils à cette fin. Par exemple, même si les tiers ne sont pas protégés par la propriété intellectuelle, une plateforme dominante agissant en tant que gardienne peut se trouver en position de garantir que les innovateurs reçoivent une compensation adéquate en accordant plus de visibilité aux produits innovants au détriment des “imitateurs”. D’autres instruments incluent le degré d’ouverture de la plateforme ou l’imposition de normes de qualité minimales.
Tarification des plateformes. Dans de Cornière, Mantovani, and Shekhar (à paraître), nous étudions les stratégies de discrimination tarifaire par une plateforme à deux côtés, motivées par des pratiques couramment utilisées par les places de marché en ligne. Nous montrons que l’existence d’externalités de réseau tend à rendre la discrimination tarifaire plus souhaitable socialement que dans les marchés traditionnels, et peut même entraîner une amélioration de Pareto. L’idée est que la capacité à mieux monétiser la participation grâce à la discrimination tarifaire incite la plateforme à attirer plus d’utilisateurs, ce qui peut bénéficier à tout le monde si les effets de réseau sont suffisamment importants.
Economie des données
Dans plusieurs de mes articles, j’essaie de comprendre le rôle des données personnelles dans le fonctionnement des marchés en ligne. Dans de Cornière and De Nijs (2016), une plateforme a accès aux données personnelles des consommateurs et décide de divulguer ou non ces données aux annonceurs avant une vente aux enchères publicitaire. Les données sont donc utilisées pour la publicité ciblée. Dans de Cornière and Montes (2017), les données personnelles sont informatives quant à la disposition à payer des consommateurs et peuvent être utilisées pour une discrimination tarifaire du premier degré et aussi pour l’amélioration des produits. Nous montrons que, dans certaines circonstances, les entreprises peuvent s’engager à ne pas pratiquer la discrimination tarifaire afin d’inciter les consommateurs à divulguer davantage d’informations. Dans de Cornière and Taylor (à paraitre), nous adoptons une approche différente et étudions un modèle qui capture la diversité des usages des données, de la discrimination tarifaire à la publicité ciblée en passant par l’amélioration des produits. Nous mettons en lumière un compromis fondamental entre un effet de marge et un effet d’extraction de surplus qui détermine si les données sont pro ou anti-concurrentielles, ce qui aide à comprendre les effets différenciés des données dans plusieurs modèles standards. Dans de Cornière and Taylor (à paraitre), nous étudions les fusions basées sur les données, c’est-à-dire des situations où une entreprise achète une cible qui vend un produit indépendant, mais qui possède des données pouvant être utilisées sur le marché principal de l’acquéreur. Ces fusions, qui ne sont ni verticales ni horizontales, posent de nouveaux défis aux autorités de concurrence. En modifiant la façon dont les données sont utilisées, une fusion modifie les incitations à collecter des données, affectant ainsi à la fois le marché principal (où les données sont collectées) et le marché secondaire (où elles sont utilisées). Une des idées que nous obtenons dans le cas d’un marché principal monopolisé est que la désirabilité de la fusion dépend non seulement du caractère pro ou anti-concurrentiel des données, mais aussi de l’existence de frictions commerciales concernant les données.
Politique de concurrence
Ventes liées & écosystèmes. A la suite de nos travaux sur l’auto-préférence, Greg Taylor et moi avons entamé un programme de recherche sur les ventes liées dans les relations verticales : dans de Cornière and Taylor (2021), nous avons proposé un modèle motivé par l’enquête de la Commission européenne sur Android, où les ventes liées par une entreprise en amont prive ses rivaux en amont de complémentarités et réduit leur capacité à offrir des paiements aux distributeurs en aval. Dans de Cornière and Taylor (à paraître), nous montrons que l’existence de la concurrence en aval peut renverser l’argument traditionnel de l'école de Chicago selon lequel les stratégies d'éviction via des ventes liées ne sont pas rentables. Nous avons lancé deux projets liés aux écosystèmes. Dans le premier, une entreprise en amont au centre d’un écosystème regroupe les solutions technologiques qu’elle propose afin d’empêcher les entreprises en aval de se différencier de leurs rivaux par leur choix de technologie. Cela induit une concurrence intense en aval et augmente l’adoption de l'écosystème par les consommateurs. Nous pensons que cette dimension est pertinente dans le cadre des accords anti-fragmentation que Google a imposés aux fabricants d’appareils, et qui faisaient partie de la décision Android de 5 la Commission européenne. Dans le second projet, nous étudions comment une entreprise peut utiliser les complémentarités spécifiques à un produit au sein d’un écosystème pour introduire (ou acquérir) des produits secondaires afin de protéger son pouvoir de marché sur un segment principal.