Comprendre pour entreprendre : L’une de vos études porte sur les effets de la peur, la manière dont la couverture médiatique affecte les peines prononcées. Comment vous est venue l’idée de travailler sur ce sujet ?
Arnaud Philippe : J’avais étudié l’effet plus ou moins dissuasif de l’introduction des peines planchers sur la récidive. En discutant avec Aurélie Ouss, qui travaille aussi sur la criminalité, nous avons pensé à analyser aussi l’impact des médias sur les peines prononcées. Nous voulions savoir si les événements extérieurs avaient une influence sur les procès. Or, les médias constituent la source principale d’informations sur le monde qui nous entoure.
Quelles sources avez-vous utilisées ?
Grâce à la convention d’accueil au Ministère de la Justice dont j’ai bénéficié pendant mon doctorat, j'ai pu accéder au casier judiciaire national, qui recense les condamnations en France. Nous avons récupéré sept années de données, de 2004 à 2010. Nous avons ensuite croisé ces informations sur les procès, avec des données de l’Institut National de l’Audiovisuel décrivant l’ensemble des reportages des journaux télévisés de TF1 et France 2 au cours de la même période. Ces programmes nous ont particulièrement intéressés dans la mesure où ils réunissent de très grosses audiences, soit 12 millions de téléspectateurs par jour. Ces données de l’INA nous ont permis de mesurer l’intensité de la médiatisation des crimes et des erreurs judiciaires en France, à partir de mots clés comme Outreau, assassinat, viol… Les journaux télévisés traitent en moyenne d’un crime tous les deux jours.
Quels ont été vos principaux résultats ?
En comparant le nombre de reportages sur des crimes et des erreurs judiciaires et la sévérité des sanctions prononcées par la suite, nous avons constaté que la médiatisation de crimes augmente la sévérité des peines prononcées le lendemain, mais pas les jours suivants. La médiatisation des erreurs judiciaires a en revanche un effet d'atténuation de la sanction pendant plusieurs jours. Cette différence peut s’expliquer par le fait que les erreurs judiciaires, plus rares, sont plus massivement médiatisées. Ces résultats ne s’observent que dans les cours d’assises. Nous n’avons trouvé aucun effet des médias sur les jugements rendus par les tribunaux correctionnels ou les tribunaux pour enfants.
Comment expliquer cette hétérogénéité ?
Nous avons deux hypothèses. D’abord, les cours d’assises jugent des contentieux d’une extrême gravité, où la variabilité des peines est plus grande. Moins routiniers, ces contentieux seraient donc plus affectés par les événements extérieurs. De plus, elles sont les seules à impliquer des jurés, c'est-à-dire des juges non professionnels. Ainsi, nous avons constaté que l’influence des médias était nulle pour les jugements portant sur des crimes commis par des mineurs de moins de 16 ans, jugements rendus par les tribunaux pour enfants. En revanche, les procès des mineurs de 16 et 17 ans, jugés par la cour d’assises des mineurs, avec des jurés, sont affectés par les médias. La présence de jurés a tout l'air d'avoir un impact.
L’effet des médias que vous avez constaté est-il net ?
Le lien causal est significatif. Les peines prononcées le lendemain de la médiatisation de crime sont en moyenne plus longues de 3 mois. Nous nous sommes demandés si l’effet était lié à la médiatisation en elle-même, ou au fait que la mauvaise nouvelle provoquerait la mauvaise humeur des juges. Mais nous avons vu que d’autres mauvaises nouvelles, comme le chômage ou la météo, n’avaient aucun effet sur les peines prononcées. De même, la médiatisation de délits liés à des faits moins graves n’a pas d’impact sur les verdicts d'assises.
Le type de crime relaté par le reportage joue-t-il ?
Nous avons regardé si la médiatisation des viols avait plus d’effet sur les sanctions prononcées pour des viols que pour d'autres crimes, mais nous n’avons rien trouvé. En revanche, nous avons remarqué que les affaires de mœurs génèrent plus d’émotions que les crimes de sang. De plus, quand le criminel jugé encourt déjà la peine maximale, la médiatisation d'un autre crime n'a pas d'effet, alors qu'elle aura tendance à augmenter la peine prononcée pour un braquage.
Quelle méthode avez-vous choisie pour être sûrs d'établir la corrélation ?
Pour être sûrs d’identifier un lien causal, nous avons sélectionné des événements médiatiques non corrélés aux procès, c'est-à-dire les faits divers bruts, au moment où les crimes sont découverts, et que seuls les premiers éléments de l’enquête sont connus. Nous avons également tenu compte de la géographie, en étudiant l'effet de la médiatisation d’un crime commis à un endroit sur les jugements prononcés sur tout le reste du territoire. C’était une manière de nous assurer que le fait médiatisé n’avait aucun lien avec le procès du lendemain.
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