La crise des finances publiques met le modèle social français sous pression. Avec un ratio de dépenses publiques de 57 % du PIB, la France fait figure de pays collectiviste parmi les pays de l'OCDE. Santé gratuite, éducation gratuite, retraites par répartition : tout cela serait parfaitement viable si les Français étaient prêts à accepter les impôts qui vont en face. Or, la grande leçon du gouvernement Hollande I, avec ses « bonnets rouges » et ses classes moyennes en colère, c'est qu'augmenter les impôts n'est plus possible. Et pourtant, les Français plébiscitent le modèle social le plus coûteux du monde.
Face à cette contradiction, la réponse des politiques est paresseuse : taxer les riches ou améliorer l'efficacité de la dépense. Ces pistes ne peuvent mener très loin. La maîtrise des comptes publics passe par la réduction des 34 % du PIB français consacrés à la protection sociale, plus que la moyenne OCDE (29 %) et même que les pays scandinaves. Il va falloir repenser le périmètre et le financement de ce système, conçu en 1945 pour des familles stables, des travailleurs masculins aux carrières sans zigzag, une espérance de vie plus courte, le tout dans un pays en forte croissance. Or ce modèle social, les politiques n'osent en prononcer le nom que pour dire qu'il faut le préserver : c'est le tabou géant qui plombe toute velléité de réforme.
Aux sources de ce non-dit, il y a l'opacité inégalée de ce gigantesque circuit de financement (24 % du PIB) qui, au prétexte de fournir des assurances et des prestations, opère aussi des redistributions massives et illisibles entre les Français. Si les Français acceptent l'une des fiscalités les plus lourdes de l'OCDE, c'est en grande partie sur la base, soigneusement entretenue, d'un double malentendu.
Tout d'abord, les salariés ne réalisent pas qu'ils paient l'intégralité de la protection sociale. Ils pensent que les cotisations patronales sont « payées par les patrons », alors que ce sont évidemment eux, salariés, qui les paient in fine : l'entreprise, pour qui seul compte le coût total du travail, répercute sur les salaires nets l'intégralité des charges sociales - sauf bien sûr au voisinage du SMIC.
Enfin, les redistributions cachées opérées par le système social rendent le système suffisamment illisible pour empêcher tout débat. Prenons l'exemple d'une famille de la classe moyenne : deux enfants et deux adultes salariés gagnant chacun 2 SMIC, soit au total 4.000 euros net par mois. Avant même de s'acquitter de son impôt sur le revenu, cette famille paie déjà 3.300 euros mensuels de cotisations sociales, dont 1.500 de cotisations retraite, 700 d'assurance-maladie, 270 d'allocations familiales, 350 d'assurance-chômage. Il ne s'agit pas simplement de l'achat forcé d'une prestation. Par exemple, les cotisations maladie sont proportionnelles au revenu (14 %), ce qui organise une redistribution des riches (qui ne sont pas plus souvent malades) vers les pauvres. De même pour l'assurance-chômage. Quant aux retraites, les flux d'argent sont nombreux, opaques et contradictoires : favorables aux classes moyennes via la règle des 25 meilleures années, favorable aux femmes pauvres et aux hommes riches via le traitement du nombre d'enfants, etc.
Les cotisations sociales sont le point aveugle du débat français sur la fiscalité qui, sur les questions d'inégalité, se focalise étrangement sur la dernière tranche de l'impôt sur le revenu ou la fusion impôt sur le revenu-CSG, alors même que les cotisations sociales opèrent une redistribution bien plus importante. Viabiliser nos finances publiques passera par un recentrage partiel du modèle social sur les plus modestes et une privatisation progressive de ses prestations pour les classes moyennes et supérieures. L'étape zéro de ce débat est de rendre intelligible pour tous l'usage exact des multiples cotisations que chaque salarié voit chaque mois débitées de sa fiche de paie.
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