Surtaxer les contrats courts et alléger les charges portant sur les CDI permettrait de réduire la dualité du marché de l'emploi.
Le sud de l'Europe maintient depuis bien longtemps une partie de sa population dans la précarité, instaurant un marché du travail « dual » composé d'« insiders » bénéficiaires de contrats permanents, et d'« outsiders » détenteurs de contrats courts, bien souvent cantonnés dans une situation de pauvreté et de sous-qualification.
En la matière, la France apparaît bonne dernière de la classe si l'on se réfère à la probabilité de passer dans l'année d'un emploi temporaire vers un emploi permanent : celle-ci s'élevait en 2013 à 10 %, soit le taux le plus faible des pays européens, trois fois inférieur à celui observé au Danemark.
Leçon italienne
Parmi les explications avancées, des conditions de licenciement trop contraignantes pourraient dissuader les entreprises de recruter sur des contrats permanents, de peur de ne pouvoir licencier en cas de retournement de la conjoncture.
La solution naturelle souvent mise en avant en France serait de créer un nouveau contrat à durée indéterminée, plus flexible au moins en début de période, qui aurait vocation à se substituer progressivement à nos CDD et CDI. Difficile pour autant de garantir que cela suffise à corriger la situation, peu de travaux empiriques étant disponibles dans ce domaine.
Le « Jobs Act » du gouvernement de Matteo Renzi nous offre un cas d'étude riche d'enseignement : celui-ci a mis en place en janvier 2015 un dispositif temporaire d'exonération de charges pour tout recrutement sur un contrat permanent d'un chômeur ou d'une personne en emploi précaire.
Il a ensuite instauré le 7 mars 2015 un nouveau contrat à durée indéterminée « à protection croissante » - avec une indemnité de licenciement variant entre 4 et 24 mois de salaire selon l'ancienneté. Avec deux années de recul, il devient possible d'estimer les effets distincts de ces deux réformes, ce que viennent de faire les économistes Paolo Sestito et Eliana Viviano à partir de données fines sur la région de la Vénétie.
D'après ces travaux, la réforme italienne aurait bien commencé à réduire la dualité du marché du travail, en induisant une hausse de 30 % des recrutements sur des contrats permanents, et un doublement du taux de transition d'un emploi temporaire vers ce type de contrat.
Cependant, ce résultat très positif serait dû essentiellement à l'exonération de charges au profit des contrats permanents. La mesure de « flexibilisation » aurait joué un rôle significatif mais nettement moindre. Dès lors, on peut s'interroger sur la pérennité des effets observés - l'étude ne portait que sur des données couvrant les années 2013-2015, alors que les exonérations de charge ont depuis été largement supprimées.
Surtaxer les contrats courts
Qu'en déduire pour notre pays ? Le gouvernement français n'a pas introduit un nouveau type de contrat permanent, mais s'est contenté de réduire les coûts de licenciement. Un enjeu fort reste sans doute devant nous, avec la réforme annoncée de l'assurance-chômage. L'ampleur des contrats courts en France - 15 % des salariés du privé, soit le double de ce qui est observé dans un pays comme le Danemark - semble en effet résulter en partie d'une optimisation au détriment de l'Unédic.
Dans certains secteurs, un compromis pernicieux s'établit entre employeurs soucieux de baisser leurs charges et salariés prêts à accepter de travailler de manière intermittente dès lors que l'assurance-chômage compense en partie leur manque à gagner. A la demande de la Cour des comptes, l'écart entre allocations versées et contributions reçues selon le contrat de travail avait été estimé pour l'année 2013 : le déficit était de près de 10 milliards d'euros côté contrats courts (CDD, intérim et intermittence), couvert par un excédent du même ordre côté CDI.
N'en déplaise au Medef, corriger ce déséquilibre en faisant davantage peser le coût de l'assurance-chômage sur les entreprises abusant des contrats courts permettrait de mettre en place un allégement de charges au profit des CDI et, si l'on en croit l'expérience italienne, de réduire significativement la dualité du marché du travail français.