Le gouvernement est accusé de s'inspirer d'un concept qu'il récuse pourtant vigoureusement, le « ruissellement » , idée selon laquelle enrichir les riches, grâce à des réductions d'impôt, finit automatiquement par bénéficier à tous. Aucune théorie économique ne vient conforter cette affirmation générale, portée essentiellement par des politiques tels que le ministre du Budget américain à l'époque de Ronald Reagan.
Il suffit d'observer la forte hausse des inégalités aux Etats-Unis pour réfuter ces propos simplistes. Pour autant, les « premiers de cordée » ont un rôle certain dans l'activité économique, et savoir si de telles baisses de taxe peuvent soutenir la croissance reste une vraie question.
Si la France réussissait à retrouver deux points de croissance par an durant toute une génération (35 ans), le revenu national doublerait durant cette période. Or, la répartition de la richesse est relativement stable dans notre pays : tant la part des salaires dans la valeur ajoutée que celle qui revient aux 50 % les plus pauvres ont peu changé depuis trente ans. Si cela continue, un surcroît de croissance pourrait in fine profiter à tous.
Les travaux économiques indiquent qu'une baisse de la fiscalité des hauts revenus favorise l'innovation, donc la croissance. Cela résulte en partie de la forte mobilité internationale des inventeurs. En exploitant les variations de fiscalité dans les principaux pays développés, des chercheurs ont montré en 2016 (1) que les personnes qui déposent beaucoup de brevets se déplacent pour aller dans les pays à la fiscalité la plus favorable : une baisse de 10 % des taux marginaux supérieurs d'imposition en France pourrait retenir près de 4 % de ces « super-inventeurs » français, et augmenter de 40 % ceux d'origine étrangère.
Mais cela ressemble fort à de la concurrence fiscale dommageable, un jeu à somme nulle où chaque pays baisserait ses taxes pour piquer les meilleurs éléments à son voisin. Un deuxième travail en cours de publication (2) montre cependant qu'un effet aussi important subsiste lorsque l'on ne tient pas compte de cette mobilité entre pays. Comment interpréter ce deuxième résultat ? Dans une société qui récompense davantage les gagnants, plus d'individus choisiraient la voie de l'innovation et de la prise de risque.
Bien sûr, la capacité de notre pays à innover et à rester compétitif dépend sans doute encore davantage de notre système éducatif et universitaire, mais le gouvernement peut tout de même se prévaloir de ces analyses pour justifier les 4 milliards de baisse de la fiscalité sur le capital (ISF + flat tax). Cependant, il doit aussi agir lorsque de tels travaux portent des jugements négatifs sur d'autres cadeaux fiscaux.
Certains d'entre eux permettent de créer des emplois, mais à un coût prohibitif, à l'instar de la baisse de la TVA dans la restauration qui coûterait tous les ans près de 200.000 euros par emploi créé (3). D'autres mesures n'auraient tout simplement aucun impact ! Un travail récent (4) montre que les mesures en faveur de l'investissement locatif (« Scellier/Pinel ») n'auraient pas d'effet, ni sur la construction ni sur l'accès au logement.
Faute d'avoir su mener les réformes en début de mandat, le gouvernement semble considérer qu'il manque de crédit politique pour s'attaquer à ces mesures absurdes. Le 1,5 milliard d'économies annoncé sur les niches fiscales semble bien timide, alors même que les deux niches mentionnées dans le paragraphe précédent totalisent à elles seules un coût de plus de 4 milliards d'euros par an.
Article publié dans les Echos.fr