L'affaire McKinsey est tombée opportunément en pleine campagne présidentielle, souligne Frédéric Cherbonnier. Mais au-delà de la manoeuvre politique, le rapport sénatorial à l'origine du scandale pose de bonnes questions et invite à considérer l'ensemble des compétences dont dispose l'administration publique, y compris universitaires.
Le rapport sénatorial à l'origine de l'affaire McKinsey tient avant tout du coup politique. Principal argument mis en avant : la hausse des dépenses de prestations de conseil des ministères, multipliées par 2,4 depuis 2018 pour atteindre près de 0,9 milliard d'euros en 2021. Mais on trouve des comparaisons internationales dans le rapport relativisant la situation : en 2018, l'Allemagne et le Royaume-Uni dépensaient six ou sept fois plus que la France en proportion des dépenses publiques. Faute d'analyses approfondies, les sénateurs se contentent d'émettre des hypothèses, notamment selon lesquelles les consultants décideraient de la politique publique en lieu et place des élus et des administrations, insinuations populistes très opportunes à la veille des élections présidentielles.
Le rapport aborde toutefois de vraies questions : l'appel à ces expertises externes est-il justifié, donne-t-il de bons résultats, induit-il un biais dans les décisions publiques ? Les consultants ne décident pas des orientations des politiques publiques, contrairement à ce qu'ont véhiculé certains médias. Celles-ci partent heureusement davantage d'une réflexion de fond parfois sous-tendue par des travaux universitaires. Ainsi, le recentrage des aides au logement procède du constat selon lequel celles-ci ont un effet inflationniste sur les loyers, et tombent dans la poche des propriétaires des logements, et non dans celles des locataires qu'elles sont supposées aider.
L' effort de rationalisation dans le domaine de la santé reposait sur l'observation par l'inspection générale des affaires sociales dans les années 2000 de surcoûts importants à l'hôpital public par rapport aux cliniques privées. Ce constat était en partie biaisé - l'écart se justifiait en grande partie par une « clientèle » différente - et allait conduire à une série de réformes excessives et inadaptées, mais c'est à porter à la responsabilité des grands corps d'administration incapables d'écouter suffisamment l'avis des experts universitaires et du politique qui a préféré pressuriser l'hôpital public plutôt que de s'attaquer aux vraies sources d'inefficacité.
Les administrations publiques ont de bonnes raisons de faire appel à des consultants - lorsque celles-ci manquent des compétences en interne ou pour pallier un manque d'effectif. Est-ce efficace lorsqu'il s'agit de questions de stratégie ou de management ? Dans le secteur privé, la réponse est positive, de nombreuses études mettant en évidence des gains significatifs pour une entreprise faisant appel à un conseil externe. Quid du secteur public ? Les rares études académiques disponibles portent sur le système de santé britannique et montrent que plus les hôpitaux publics ont fait appel à des consultants externes, moins ils ont été efficaces par la suite, et plus ils continueront à l'avenir à s'appuyer sur de tels services !
On ne peut bien sûr calquer ces résultats à la France - le Royaume-Uni est l'un des pays où l'Etat fait le plus appel aux cabinets de conseil, l'agence de santé britannique dépensant presque autant en 2014 que toutes les administrations publiques françaises aujourd'hui ! Mais la Cour des comptes s'était déjà inquiétée en 2018 d'un phénomène similaire en France dans le secteur de la santé. Cela montre qu'il convient d'être vigilant sur ce type de dépense, et d'éviter en particulier que des consultants, peu au fait des spécificités juridiques et réglementaires de l'administration, ne viennent se substituer durablement à des compétences en interne.
Article paru dans Les Echos le 7 avril 2022. Copyright Les Echos.fr
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