Trois ONG ont assigné BNP Paribas en justice pour son soutien financier à de nouveaux projets de développement des énergies fossiles.
Atlantico : Trois ONG demandent à la BNP de cesser tout soutien à de nouveaux projets pétroliers et gaziers. BNP Paribas est ainsi la première banque assignée en justice pour son financement des énergies fossiles. Qu’en pensez-vous?
Christian Gollier : On devrait tous être assignés en justice dans ce cas. Les compagnies pétrolières et les banques qui les financent mettent à disposition des citoyens un bien essentiel, une énergie dont la crise énergétique actuelle nous rappelle l’importance dans nos modes de vie. A qui faut-il imputer la responsabilité des émissions, aux citoyens qui consomment cette énergie ou les entreprises qui la produise? Que diraient les citoyens si on leur coupait l’accès à cette énergie?
Si Total arrêtait de fournir de l’essence, le consommateur se tournerait vers Esso ou BP. Et si Total cessait d’extraire du pétrole en mer du Nord ou en Afrique, la France irait sans doute se fournir en Russie ou en Arabie Saoudite. Nous avons besoin de pétrole à l’heure actuelle, et pour encore 2 ou 3 décennies probablement. En arrêtant l’exploration aujourd’hui, on sait que l’offre de pétrole se réduirait de 5% par an. Voudrait-on s’infliger volontairement une crise énergétique semblable à celle que nous connaissons actuellement en Europe en réduisant de façon durable l’offre d’énergie fossile? Cette crise est un désastre, économique en appauvrissant les pays Européens, et social en touchant avant tout les ménages les plus modestes. Pour que la réduction de l’offre soit efficace, il faudrait aussi inciter à la sobriété de la demande. Sinon, on ne fera qu’augmenter le prix des énergies fossiles, en augmentant la rente pétrolière empochée par les oligarques. Est-ce que c’est cela qu’on veut? Ces ONG s’inscrivent dans une logique où le consommateur ne devrait faire aucun sacrifice et où tout l’effort devrait peser sur le producteur. C’est une politique absurde, qui ne conduirait qu’à une inflation désastreuse et à une augmentation considérable des profits des majors pétroliers. N’avons-nous rien appris de 2022?
Ne faisons-nous pas, à l’heure actuelle, face aux conséquences d’un sous-investissement dans les énergies fossiles au nom d’une logique erronée?
Tout à fait. Rappelez-vous le moratoire sur le gaz de schiste dans les années 2000. Si nous n’avions pas fait ce moratoire nous aurions sans doute pu éviter la crise énergétique catastrophique actuelle. Ce moratoire sur les gaz de schiste a fait que nous avons décidé que nous ne toucherions pas à cette source d’énergie, fossile, car elle allait être émettrice de CO2. Et résultat des courses nous achetons aujourd’hui le gaz de schiste aux Américains à prix d’or. Rappelons que le prix de l’énergie est aujourd’hui deux fois plus élevé en Europe qu’en Amérique du Nord. Nous nous appauvrissons, tout en nous rendant moins compétitif. C’est une politique de gribouille. Tant qu’il y a une demande pour le fossile, l’offre suivra et si on essaie de la restreindre, on aura l’appauvrissement de la population et une révolte des citoyens. Agir ainsi, c’est se préparer à de nouveaux gilets jaunes dans un avenir plus ou moins proche. Ne jouons pas avec ce feu-là.
Quelle politique faut-il donc mener?
Il faut mettre un prix du carbone. Il faut annoncer, par exemple, qu’en 2024, tout émetteur de CO2 devra payer, disons, 120 € par tonne de CO2 émise et que ce prix montera de 4% par an pour atteindre 200 ou 300 euros à terme. Si on annonçait cela, les consommateurs remplaceraient leurs équipements : changer de chaudière, changer de voiture, etc. Et les producteurs pourraient anticiper la baisse de la demande pour planifier intelligemment la réduction de leurs productions. Une taxe carbone est la meilleure manière de faire baisser simultanément et de manière coordonnée et planifiée l’offre et la demande. C’est transférer la rente pétrolière des poches des oligarques vers celles de nos gouvernements, qui pourra l’utiliser pour compenser les ménages les plus modestes et financer la transition. Cela permet aussi d’agir dans le respect des libertés, à commencer par la liberté d’entreprendre. Et ceux qui ne voudront pas anticiper ce changement en porteront les conséquences.
Cela veut donc dire, que dans l’intervalle, il faut continuer à soutenir les investissements fossiles?
Il faut que les producteurs prennent leurs responsabilités. A eux de d’évaluer les besoins futurs d’énergies fossiles en connaissance des ambitions politiques de décarbonation de nos économies se traduisant par ce prix du carbone croissant dans le temps. A eux, à leurs actionnaires et à leurs banques, de prendre leur risque d’investir dans de nouveaux gisements, ou pas.Va-t-on réussir à développer l’électrique suffisamment pour que tout le monde puisse abandonner son véhicule thermique, sa chaudière au fioul, etc. Il faut laisser les grandes compagnies faire leurs plans d’investissement et de l’autre côté, demander à l’Etat de fixer un cap clair et transparent sur le prix du carbone, et que les entreprises prennent leurs décisions en conscience. L’économie de marché continuera de fonctionner comme elle le fait depuis trois siècles, ce grâce à quoi elle a amené cette extraordinaire prospérité collective, extrayant des milliards d’êtres humains de la pauvreté. C’est la même logique que ceux qui demandent l’arrêt de la consommation des produits de luxe ou ostentatoires. C’est une vision morale de l’économie, qui décide autoritairement ce qui est bien et ce qui est mal, de qui peut consommer quoi, et de qui doit produire quoi et quand. Le changement climatique remet sur la table ce vieux débat sur les mérites relatifs des économies planifiées et totalitaires d’un côté, et des systèmes libéraux et de marchés de l’autre.
Quels peuvent être les effets pervers du discours consistant à dire aux entreprises pétrolières qu’elles n’ont pas d’avenir et doivent disparaître?
Zéro émission nette en 2050, cela laisse deux solutions : soit trouver comment capter le carbone émis dans l’atmosphère, soit se passer des énergies fossiles. La première hypothèse semble irréaliste dans l’état prévisible des technologies de capture et séquestration du carbone atmosphérique. Donc l’extraction pétrolière est probablement condamnée à terme. Mais il faut laisser les industriels s’adapter eux-mêmes à l’aulne de ce constat. Il faut laisser les entreprises libres de leur rythme de substitution vers les renouvelables, face à une politique climatique claire des Etats.
Les banques sont très concernées par le risque et la menace de stranded assets. Si les banques investissent dans des entreprises qui ne font pas les changements nécessaires, elles en paieront le prix. Donc le secteur financier doit pouvoir intégrer la pénalisation croissante de la production carbonée pour pouvoir faire des choix éclairés. C’est aux banques de prendre leur risque. Mais il faut bien être conscient que BNP investit aujourd’hui dans un bien qui restera encore pour quelques temps de première nécessité : l’essence à la pompe. Remettons chacun dans son rôle, avec un Etat régulateur imposant un prix du carbone reflétant nos responsabilités individuelles dans le changement climatique, et laissons chacun, producteurs et consommateurs, adapter son mode de production et de consommation dans ce nouveau monde responsable.
Article paru dans Atlantico le 25 février 2023
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