Interview accordée par Nicolas Treich au Media l'Opinion le 23 juin 2020
La Convention a-t-elle fait oeuvre utile ?
Mon impression globale est positive. Cette approche citoyenne peut aider à surmonter des verrous politiques. Elle se fonde sur l’intelligence collective, un phénomène largement documenté en sciences politiques, économie et psychologie. Dans une société très défiante, cette initiative va dans la bonne direction. Je la perçois comme la première d’une longue série dont il faudra apprendre et corriger les erreurs : comment sélectionner les participants et les experts, organiser les échanges, les liens avec le cadre juridique et la décision politique qui suivra, etc. ?
Quelles sont les questions manquantes ?
Celle de l’évaluation des mesures proposées. Dans les 149 propositions, on voit assez bien les bénéfices, mais pas les coûts. Peut-être cela viendra-t-il lors de la discussion du financement de ces mesures ? Notons que certaines d’entre elles ont déjà été évaluées. Ainsi le passage de 130 à 110 km/h sur les autoroutes est très négatif : il ferait perdre plus d’un demi-milliard d’euros à l’économie. Autre exemple : l’obligation de la rénovation énergétique globale des bâtiments. Dans plusieurs pays, elle a conduit à un fiasco, servant surtout à engraisser le lobby du bâtiment.
Et la taxe carbone ?
C’est la grande absente. Une forte majorité d’économistes la pensent nécessaire. Christian Gollier, mon collègue de TSE, a beaucoup écrit sur ce sujet, notamment Le climat après la fin du mois, PUF. Je comprends la méfiance à la suite du mouvement des Gilets jaunes. Mais une taxe carbone inciterait les
citoyens à se diriger vers les biens les plus vertueux. On pourrait réaffecter les revenus de la taxe aux plus pauvres pour en compenser les effets sur leur pouvoir d’achat.
La fiscalité serait donc plus efficace qu’interdire et contrôler ?
Oui, il est illusoire de penser que les mesures coercitives, de type command and control, ne sont pas coûteuses. Interdire la commercialisation de véhicules très émetteurs de CO2 affecte le pouvoir d’achat. Interdire l’avion sur des vols domestiques, fait perdre du temps à certaines personnes, et coûte à l’économie. En revanche, introduire une taxation généralisée dans le transport (sans en exempter l’aviation ou le maritime) permettrait de réduire la pollution là où c’est le moins coûteux. Cela dit, l’arbitrage entre des dispositifs de type command and control et la taxation dépend des contraintes politiques et sociales.
Quelles sont les bonnes propositions de la Convention ?
Revisiter la politique agricole commune (PAC) est une bonne chose. On sait que jusqu’à présent, le verdissement de la politique agricole commune a été un échec. La Convention propose, à juste titre, de modifier l’attribution des aides à l’hectare. Actuellement, les aides directes bénéficient aux exploitations agricoles les moins favorables à l’environnement. Nous sommes encore dans une logique pollueur.
Et la réduction de la consommation de viande de 20 % d’ici à 2030 ?
Une autre bonne proposition selon moi. La littérature scientifique fait apparaître que la viande pollue beaucoup plus par unité de calorie ou de protéines que les produits végétaux. C’est vrai pour le climat, mais aussi pour la pollution de l’air, de l’eau et des sols, et pour l’usage de la terre et de l’eau. Mais une politique de taxation de la viande paraît difficile à mettre en oeuvre vu le poids des lobbys. Du coup, dans ce cas, la coercition, si elle émane d’un mouvement citoyen, peut aider à contrer l’inertie politique.
Avez-vous repéré une idée nouvelle ?
Oui, j’ai noté cette proposition de rendre obligatoire l’inscription d’une mention comme « En avez-vous vraiment besoin ? », avant la confirmation d’un achat sur Internet. Ceci est un nudge [coup de pouce, en anglais, ou l’art de suggérer un comportement sans y contraindre], un concept en économie comportementale. Mais ce nudge est il vraiment efficace ? N’a-t-il pas des effets pervers ? N’y en aurait-il pas de meilleur ? Dans ce cas aussi, il faudrait des études.
Faut-il modifier la Constitution dans le sens proposé par la Convention ?
Il est intéressant de s’attaquer au niveau juridique le plus élevé, notamment pour sa dimension symbolique. Le risque est que cette modification ne produise pas d’effets concrets et que cette poudre aux yeux se substitue, de fait, à la mise en place de mesures effectives et concrètes. Pour rappel, le principe de
précaution a été inscrit dans la Constitution en 2005. Depuis, à ma connaissance, aucune mesure n’a été jugée anticonstitutionnelle sur cette base.
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