Pour aider à lutter contre le changement climatique, les Trésors français et allemand (puis européens) devraient émettre, en commun, des obligations souveraines ultra-longues (à 100 ans, 200 ans, perpétuelles), destinées à évaluer, en euros d'aujourd'hui, les dégâts climatiques futurs et à financer la recherche climatique.
Le débat actuel sur le changement climatique peut se résumer en : « comment estimer les dégâts futurs du changement climatique en euros d'aujourd'hui ? ». Le discours des experts du climat (GIEC…) est nécessaire mais non suffisant. Ils nous disent que, sans action résolue aujourd'hui, le réchauffement climatique rendra des pans entiers du globe invivables, mais ils ne nous disent pas qui doit payer pour éviter cela.
Quelle génération doit payer pour la facture climatique ? C'est la question classique du taux d'actualisation (assimilé ici au taux d'intérêt sans risque) de long terme. Si le taux d'intérêt de long terme est élevé (ce qui implique une croissance économique élevée sur la période), alors ce qui se passe à long terme est de faible importance pour nous : ce sera aux générations futures (beaucoup plus riches) de s'y atteler. Inversement si le taux d'intérêt est faible.
Le problème est qu'il n'y a pas consensus sur le taux d'intérêt de long terme. L'économiste Nicholas Stern préconisait en 2006 un taux de 1,4 % par an (= 1,3 % de croissance + 0,1 % de taux d'impatience des agents économiques). Aujourd'hui, la formule de Stern donnerait 0,6 % par an. Ma suggestion ici est que les taux d'intérêt de long terme soient définis par le marché : le Trésor français devrait émettre des obligations souveraines (OAT) de très long terme (100 ans, 200 ans, perpétuelles). Ces obligations seraient indexées sur l'inflation européenne (OATei) afin de créer une courbe ultra-longue des taux d'intérêt réels - les seuls qui comptent à long terme. Ces taux de marché ne seraient plus discutables. Ma deuxième suggestion est que ces obligations ultra-longues soient émises en commun (de manière conjointe et solidaire) avec l'Allemagne, puis avec les autres pays de la zone euro. Pourquoi ? Pour créer des obligations suffisamment grosses pour apporter de la liquidité et donc rendre la courbe des taux encore plus significative. Ensuite, car les problèmes climatiques de long terme sont communs aux pays d'Europe.
Quels taux seraient envisageables ? Pour l'emprunt réel le plus long de l'Etat français, l'OATei 2040, le taux réel est de 0,08 % par an, ce qui est extrêmement bas. Des obligations réelles ultra-longues devraient avoir des taux à peine plus élevés, mais c'est au marché de décider.
Pour quoi emprunter à si long terme ? L'Etat pourrait utiliser cet argent pour simplement financer sa dette actuelle. Mais il serait plus judicieux d'utiliser ces fonds levés au niveau européen pour une politique climatique européenne. Même si les travaux de la COP21 sont bienvenus, il est probable que les Etats ne respecteront pas leurs engagements signés à Paris. Ne reste alors qu'à parier sur les technologies propres. Les révolutions technologiques vertes nécessaires sont d'une telle ampleur que seul un investissement massif en R&D au niveau continental peut y parvenir (comme le firent les Etats-Unis pour la bombe atomique ou l'envoi de l'homme sur la lune). Des investissements publics européens de quelques dizaines de milliards d'euros, financés par ces obligations ultra-longues, pourraient y subvenir. Si nos gouvernements refusent aujourd'hui de s'endetter à moins de 0,50 % par an en termes réels, pour financer la R&D sur le climat, ce sera la preuve qu'ils ne croient absolument pas à la rentabilité sociale de la recherche et qu'ils se désintéressent du devenir climatique. Utilisons plutôt des obligations financières climatiques pour remplir nos obligations climatiques, au sens moral, envers les générations futures.