Près de 15 % des salariés du privé sont employés sur des contrats temporaires, et plus de 90 % des embauches se font sur de tels contrats. Cette précarisation d'une partie de la population active est souvent présentée comme une conséquence de la rigidité des contrats à durée indéterminée. Les entreprises hésiteraient-elles à recruter en CDI de peur de ne pouvoir licencier en cas de retournement de la conjoncture ? Sans doute est-ce en partie le cas, mais une autre explication paraît davantage pertinente, liée à la présence de failles dans notre système d'assurance-chômage.
Un rapport du CAE, réalisé par les économistes Pierre Cahuc et Corinne Prost, en donne une illustration flagrante en considérant le cumul des allocations chômage et des revenus d'activité à temps partiel. Une personne payée au SMIC horaire peut, en travaillant à mi-temps, bénéficier indéfiniment d'un revenu supérieur à 80 % du SMIC. Il lui suffit pour cela d'alterner judicieusement les périodes d'activité et de chômage pour presque doubler sa rémunération totale à l'aide de l'Unédic ! Une situation très similaire, mais moins criante, s'observe pour les individus bénéficiant d'un salaire deux fois supérieur.
Pour autant, permettre le cumul de revenus et d'allocations facilite, selon de nombreux travaux académiques, le retour à l'emploi. Toute la difficulté est d'éviter que cela ne place les individus dans une trappe à « travailleur pauvre ». C'est hélas le cas : dans les situations types considérées par le CAE, augmenter de 50 % son activité ne permet pas d'améliorer significativement son revenu total en raison de la baisse des indemnités chômage et de la hausse des cotisations sociales qui en résultent.
Il faudrait davantage responsabiliser le salarié en évitant que ce dispositif ne puisse être reconduit éternellement, le temps partiel « subventionné » devenant un tremplin provisoire vers un emploi à plein temps mieux rémunéré. Selon une étude récente de la Dares, exercer une activité réduite de quelques mois rehausse significativement la probabilité de retrouver un emploi à temps plein, mais cet effet s'estompe au bout de six mois.
Il faut également responsabiliser l'employeur, en déterminant ses cotisations en fonction des coûts qu'il a fait subir à l'assurance-chômage. Une piste proposée par Olivier Blanchard et Jean Tirole en 2003, s'inspirant du dispositif d'expérience rating mis en place aux Etats-Unis dans les années 1930, et reprise plus récemment par le sociologue Pierre-Michel Menger en ce qui concerne l'intermittence du spectacle, afin de limiter l'exploitation abusive de ce « régime » par le secteur audiovisuel.
L'enjeu est considérable. L'Unédic a estimé à la demande de la Cour des comptes l'écart entre allocations versées et contributions reçues selon le contrat de travail. Le déficit était en 2013 de l'ordre de 6 milliards d'euros pour les CDD, de 2 milliards pour l'intérim et de 1 milliard pour l'intermittence. A l'inverse, les salariés en contrat à durée indéterminée contribuent fortement à l'équilibre du système avec un solde positif supérieur à 10 milliards d'euros. Cela compromet l'équilibre financier de l'Unédic, renforce le travail précaire et renchérit le coût du travail pour les entreprises « vertueuses » qui proposent des emplois permanents à leurs salariés.
Les partenaires sociaux semblent incapables aujourd'hui de s'engager dans ces voies. Les réformes passées de l'Unédic, comme celles de 2003 et de 2014, ont souvent conduit à renforcer les failles du système. Pourtant, cette solution fondée sur la responsabilisation individuelle des employeurs et employés semble politiquement beaucoup plus réaliste que la négociation actuelle, où chaque partie se contente de demander à l'autre de « payer » - via une hausse des cotisations ou une baisse des allocations - pour réduire le déficit de l'assurance-chômage