Alors que le gouvernement vient d'annoncer un nouveau plan d'aide de 400 millions d'euros aux éleveurs, nos décideurs doivent prendre la mesure des impacts climatiques, écologiques, sanitaires et financiers de la filière animale en mettant en place des mesures adéquates de régulation de ce secteur. De nombreuses études montrent l'impact considérable de l'élevage sur le réchauffement climatique, la déforestation, la biodiversité ainsi que sur la pollution de l'air, des eaux et des sols. L'élevage participe aussi à l'émergence et l'amplification de maladies infectieuses, comme les grippes aviaires ou porcines, ainsi qu'au développement de l'antibiorésistance.
Pourtant, les pouvoirs publics ne régulent que très peu, et le plus souvent promeuvent, la production et la consommation de produits issus de l'élevage. Alors que le principe pollueur-payeur s'applique aux secteurs les plus polluants (comme la taxe carbone pour le transport, le marché de permis d'émissions pour l'industrie), l'élevage en est exempté bien qu'il représente environ 13 % des émissions françaises. En matière sanitaire, certains produits néfastes, comme les sodas, sont assujettis à une taxation renforcée, mais la viande transformée y échappe.
La cause principale de cette défaillance de régulation est éminemment politique. De multiples intérêts s'agrègent pour bloquer tout changement. En 2020, la création de la cellule de renseignement Demeter, visant à mettre sous surveillance les militants écologiques et antispécistes pour limiter les critiques envers le secteur de l'élevage, est révélatrice de ce blocage politique. Plusieurs parlementaires ont récemment obtenu de restreindre l'utilisation de dénominations commerciales pour les produits végétaux se substituant aux produits animaux (les steaks de lentilles, le lait d'avoine, par exemple) ainsi que l'interdiction préemptive de nouvelles technologies (viande cultivée) dans les cantines françaises avant même leur autorisation officielle de mise sur le marché. Un tel zèle législatif en dit long sur les forces corporatistes cherchant à se protéger de nouveaux concurrents.
À rebours des recommandations économiques habituelles pour les secteurs générant de fortes externalités négatives, la production animale est largement soutenue par de multiples mécanismes de subventions. Chaque année, l'élevage français reçoit plusieurs milliards d'euros de la Politique agricole commune auxquels s'ajoutent les multiples plans d'aide aux filières. Ces derniers mois, plusieurs centaines de millions d'euros d'argent public ont été injectés dans les plans de rénovation des abattoirs, de soutien d'urgence à la filière porcine, ou de résilience pour faire face à l'augmentation du prix des céréales pour l'alimentation du bétail.
Réduire notre dépendance aux produits animaux est aujourd'hui une nécessité. La réduction des cheptels doit devenir le premier objectif de la refonte de la politique agricole, ce qui permettra de réduire l'ensemble des externalités climatiques, environnementales, sanitaires et aussi morales. Cette réduction s'avère bien plus efficace que les stratégies visant à changer les modes de production animale. C'est d'ailleurs dans cette direction que s'est engagé le gouvernement néerlandais, en annonçant un objectif de réduction de 30 % de son cheptel national. En outre, la baisse du nombre d'animaux d'élevage permettra de réduire la pression sur les stocks globaux de céréales, limitant ainsi le risque d'insécurité alimentaire.
Alors que les questions liées à la viande et aux animaux sont au coeur des débats présidentiels, il est temps que nos futurs décideurs développent une stratégie précise et crédible pour accompagner la transition vers moins de produits animaux. Pour cela, il apparaît urgent de construire en particulier un système d'incitations fiscales reflétant les impacts globaux des aliments.
Article publié dans Les Echos le 14 avril 2022. Copyright Les Echos.fr
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Authors
- Nicolas Treich
- Romain Espinosa