Si, pour Aristote, l’homme est un animal « de nature politique », nous savons depuis quelque temps qu’il n’est pas le seul. Le primatologue Frans De Waal est devenu mondialement connu pour son livre Chimpanzee Politics sorti en 1982 (La Politique du Chimpanzé, Editions du Rocher, 1987), qui montrait la complexité des négociations entre coalitions de chimpanzés.
Mais on n’imaginait pas que nos institutions politiques électorales puissent avoir leurs équivalents dans le règne animal. Ces dernières années, de nombreuses études montrent la sophistication des mécanismes de décision collective chez diverses espèces – et donc les racines biologiques profondes de nos instincts politiques.
Une étude remarquable de chiens sauvages au Botswana montre que ces mammifères, pourtant très hiérarchisés, dans leur structure sociale utilisent des mécanismes de consultation et de vote « démocratique » avant de se décider en faveur d’un déplacement collectif (« Sneeze to leave », par Reena Walker, Andrew King, Weldon McNutt et Neil Jordan, Proceedings of the Royal Society B, septembre 2017).
Eternuer veut dire « allons-y »
Ces chiens sauvages vivent en groupes d’une dizaine d’individus, dont un couple dominant. Ils se réunissent régulièrement pour des rassemblements qui se caractérisent par des vocalisations et des cérémonies de salutation à très haute énergie. Ces rassemblements sont parfois le prélude d’une décision de partir ensemble, à la chasse par exemple. Après une période sédentaire dans la vie du groupe, un premier rassemblement a une probabilité faible (26 % en moyenne) de se terminer par une décision de départ. Mais après trois rassemblements, la probabilité s’élève à 64 %.
L’aspect le plus remarquable de ces rassemblements est que la décision de partir est prise par un vote – et que le vote se fait par éternuement. Eternuer veut dire « allons-y », et plus il y a d’éternuements par groupe plus il est probable que le départ soit acté. Il n’y a pas (au moins selon ce que les chercheurs ont pu constater) de seuil exact de votes nécessaires – contrairement à ce qu’on observe chez les suricates, par exemple, où un seuil d’au moins deux, souvent trois signaux d’accord précède tout déplacement collectif.
Ici les chercheurs constatent plutôt une courbe de probabilité grandissante avec le nombre d’éternuements. Pour les premiers rassemblements après une période sédentaire, la probabilité de départ augmente plus lentement en fonction du nombre d’éternuements que pour les rassemblements ultérieurs.
Brexit et rhume des foins
Les éternuements constituent une vocalisation (décrite avec volupté par des graphiques dans l’étude) dont la fonction est bien précise. Ils ne sont pas interprétés par d’autres individus comme un signal d’alarme ni comme une menace. Les chercheurs doivent bien être reconnaissants aux bracelets connectés qui leur ont permis de récolter tant de données sur la vie intime des chiens sauvages sans devoir subir eux-mêmes lesdits éternuements…
Les auteurs constatent aussi que l’avis des individus dominants peut modifier le consensus, mais pas l’abolir. Lorsque le rassemblement est initié par un individu dominant, il faut sensiblement moins de votes pour initier un départ que dans d’autres cas, mais le dominant est incapable d’imposer sa volonté s’il n’y a aucun consensus. Comme une foule qui refuse de s’enthousiasmer devant le discours d’un dictateur, les chiens sauvages peuvent par leur flegme torpiller les projets d’expédition d’un dominant de leur groupe.
On peut regretter que l’influence modératrice de tels mécanismes sur des décisions de départ hâtives ne trouve pas toujours d’équivalent chez les êtres humains. Si le référendum sur le Brexit en juin 2017 avait été décidé par éternuement plutôt que par bulletin secret, le résultat aurait-il été le même ? Ou bien le rhume des foins, à son apogée ce mois-là dans les campagnes britanniques, aurait-il donné aux partisans du « Leave » une victoire encore plus écrasante ?
Copyright Le Monde, article publié dans le Monde Economie