L'immigration est au coeur des sujets abordés par les candidats à la présidentielle, alors que le flux annuel d'immigrés est faible en France depuis longtemps : près de 0,4 % de la population (0,3 % d'origine non européenne), soit deux fois moins que la moyenne des pays de l'OCDE. La stratégie opportuniste des candidats exploite des idées reçues qu'il faut corriger. Mais s'agit-il d'une préoccupation d'ordre économique ou culturel ?
Sur le plan économique, l'immigration n'est ni un fardeau pour nos sociétés ni une menace pour les travailleurs. Sous l'impulsion du récent lauréat du prix Nobel, David Card, les économistes ont montré, dès les années 1990, que les vagues migratoires vers les Etats-Unis, la France ou Israël n'ont eu qu'un effet marginal sur le chômage et les salaires. Et l'impact des migrants sur le financement de la protection sociale est faible, voire légèrement positif en France : plus jeunes, les immigrés pèsent moins sur les branches vieillesse. Autrement dit, les migrants viennent surtout en complément de la population locale et apportent de la richesse, ce qui a conduit récemment les économistes du Conseil d'analyse économique à préconiser un renforcement de l'immigration qualifiée pour soutenir l'économie.
Taux de fécondité proche
Sur le plan culturel, certes, nos flux migratoires sont peu diversifiés, plus de 40 % provenant d'Afrique, dont près d'un tiers du Maghreb. Pour autant, ces flux restent faibles et seuls un taux de fécondité très différent et une absence d'intégration pourraient donner un semblant de vraisemblance à ces fantasmes sur un hypothétique « grand remplacement » . Or la fécondité des descendantes d'immigrés est proche de celle des Françaises « de souche » . D'après la démographe Ariane Pailhé, cela serait en particulier le cas pour les personnes d'origine maghrébine (alors que la fécondité serait moindre pour celles d'origine asiatique, et plus grande pour celles d'origine turque). Et d'autres indicateurs confirment l'intégration. En particulier, selon des travaux de l'Ined, dès la troisième génération, les immigrés du Maghreb ne choisissent plus des prénoms spécifiquement arabo-musulmans pour leurs enfants.
Théorie du contact
Le principal fantasme n'est plus d'ordre économique.L'opinion publique est consciente que les immigrés viennent les « compléter » sur le marché du travail, en prenant des métiers peu qualifiés dont ils ne veulent plus, ou en répondant à des carences de main-d'oeuvre plus qualifiée. L'actualité n'a fait que renforcer cette impression, avec l'exemple des sociétés Moderna ou BioNtech, toutes deux fondées par des migrants, dans des pays différents, et la mise en avant des métiers essentiels durant la pandémie - plus de 20 % de ces métiers sont occupés par des migrants en Ile-de-France. Le vrai fantasme, culturel, dépend de la manière dont la population est confrontée aux personnes d'origine étrangère. Le politiste Ryan D. Enos a publié en 2014 un travail surprenant. Il avait demandé durant quinze jours à des personnes d'origine hispanique d'aller parler dans leur langue maternelle sur le quai de plusieurs gares autour de Boston. Cette expérimentation a montré que le simple fait d'entendre parler espagnol dans les transports publics avait suscité une hausse significative du sentiment antimigrants mexicains ! A contrario, de nombreux travaux en psychologie sociale montrent, conformément à la « théorie du contact », que seule une véritable mise en relation permet de réduire la peur de l'autre et les préjugés sur les migrations.
Article publié dans les Echos le 13 janvier 2022. Copyright Les Echos
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