Le reflux récent des hausses de prix aux Etats-Unis ne doit pas nous faire oublier que l'inflation reste élevée et qu'en Europe en particulier, nous sommes loin d'avoir résolu le choc des prix de l'énergie, prévient Frédéric Cherbonnier.
La lutte contre l'inflation met les banques centrales dans une position difficile. Répondre à la situation nécessite d'identifier les mécanismes susceptibles d'enrayer la hausse des prix en distinguant la situation américaine de la situation européenne.
La victoire contre l'inflation au siècle dernier est associée à la remontée brutale des taux d'intérêt de la Réserve fédérale américaine, portés à 20 % en mars 1980 sous l'impulsion de son président, Paul Volcker.
L'économie américaine a alors plongé, et la détérioration du marché du travail aurait entravé la "boucle prix salaire" en imposant une modération salariale: un chômage élevé rend en effet plus difficile pour un salarié d'exiger une hausse de sa rémunération - d'où une relation négative entre chômage et inflation, la fameuse "courbe de Phillips". Il faudrait ainsi faire basculer nos économies dans une grave récession pour vaincre l'inflation.
Mais cette explication n'apparaît aujourd'hui plus pertinente. Elle ne permet pas de comprendre pourquoi l'inflation à travers le monde n'a pas baissé significativement durant la grande crise de 2008, et n'a pas non plus rebondi au sortir de cette crise - un phénomène alors qualifié de "missing (dis)inflation puzzle" par les observateurs, faisant croire à un moment que la relation de Phillips entre chômage et inflation avait disparu.
Des travaux récents* montrent que celle-ci reste bien présente, mais que le mécanisme est plus complexe et dépend de la capacité des politiques à nous convaincre que l'inflation finira par baisser. Dans le jargon économique, il s'agit d' "ancrer" les anticipations d'inflation, ce qui passe par un équilibre subtil entre action et communication.
Ceci explique pourquoi les banques centrales n'ont amorcé qu'une remontée relativement modérée de leurs taux d'intérêt à des niveaux très en deçà de l'inflation (d'où des taux d'intérêt négatifs et des conditions monétaires accommodantes).
Ces hausses restent malgré tout significatives et semblent commencer à porter leurs fruits: de part et d'autre de l'Atlantique, l'inflation vient de légèrement reculer tandis que les anticipations d'inflation mesurées par les marchés restent basses. Mais il ne faut pas se réjouir trop vite : les marchés peuvent se tromper et les banques centrales ont elles-mêmes perdu en crédibilité en minorant le risque inflationniste. La situation reste très délicate, en particulier en Europe.
L'inflation aux Etats-Unis, pays devenu exportateur d'énergie, résulte essentiellement de la reprise de la demande ainsi que de tensions sur le marché du travail et les chaînes d'approvisionnement. La question est celle d'un atterrissage en douceur après le rebond post-Covid. Pour cela, le durcissement de la politique monétaire américaine (deux fois plus fort que dans la zone euro) s'accompagne d'une forte réduction du déficit budgétaire américain (divisé par deux cette année).
A contrario, l'inflation en Europe résulte surtout d'un choc sur les prix de l'énergie sans doute en partie durable, qui entraînera nécessairement une perte de pouvoir d'achat. Les dépenses budgétaires engagées par les gouvernements pour aider les ménages ne font que repousser le problème, tout en agissant dans une direction opposée à celle de la politique monétaire et en fragilisant encore davantage certains d'entre eux. La question européenne est donc plus complexe, car elle suppose une coordination budgétaire pour éviter que ne ressurgisse le spectre d'une crise des dettes souveraines.
* "The Slope of the Phillips Curve: Evidence from U.S. States", de Jonathon Hazell, Juan Herreño, Emi Nakamura, Jón Steinsson, "The Quarterly Journal of Economics", Vol. 137, no 3, août 2022, pp. 1299-1344.
Article paru dans Les Echos le 2 décembre. Copyright Les Echos.fr
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