Le niveau de la dépense publique consacré au grand âge reste faible en France, comparativement aux pays d'Europe du Nord. Consacrer plus d'argent public à ce secteur doit être un choix collectif qui mérite d'être débattu au plus vite, estime Frédéric Cherbonnier.
Le scandale des Ephad privés affecte le leader du secteur en France, Korian, après avoir touché le numéro un mondial, Orpéa. Pour autant, financer une partie de la dépendance en faisant appel au privé, quitte à offrir un rendement de l'ordre 6 % aux actionnaires, n'est pas choquant. Cela correspond au niveau normal de rémunération d'une action pour en compenser le risque. Maisl'évolution en Bourse d'un groupe tel qu'Orpéa a dépassé nettement celle du marché. En ne comptant que les plus-values, son rendement annuel moyen a excédé 20 % les quinze années qui ont suivi son introduction en Bourse en 2002.Au vu de l'actualité, il est naturel de se demander si cette performance boursière ne reflète pas la capacité du groupe à transformer les personnes âgées en « vaches à lait », en leur soutirant plus de 5.000 euros par mois, officiellement pour payer les seuls frais d'hôtellerie et de restauration, et en ne consacrant que quelques euros à l'ensemble des repas d'une journée !
Point clef : le contrôle de la qualité de service. Les patients des Ephad sont souvent des personnes souffrant de déficit cognitif, incapables de réagir face à la maltraitance ou de faire remonter l'information à leur famille. Un problème qui a conduit de nombreux pays à mettre en place deux stratégies : réguler, en imposant des normes à ces établissements, puis rendre publiques des mesures de qualité. Cette dernière étape a été engagée dès 1998 aux Etats-Unis, dès 2009 en Allemagne à la suite d'une série de scandales similaires. Les études montrent que cela n'améliore qu'à la marge la situation, sans doute en partie car les patients sont relativement captifs : à la différence d'un patient dans un hôpital, celui d'un Ephad n'a pas beaucoup de choix de départ (ces établissements sont quasiment tous saturés) et, une fois installé, peut difficilement décider d'en partir. Pour autant, contrôler la qualité et rendre ces évaluations publiques semblent indispensables pour faire réagir les familles et inciter les Ephad à adopter des comportements vertueux. Or, en France, les inspections sont peu fréquentes, rarement effectuées par surprise, et leurs résultats ne sont pas rendus publics. Au-delà de la question du contrôle et de la transparence, quid du niveau de la dépense publique ? Un Ephad dispose de trois sources de financement : l'Assurance-maladie pour les soins, le département pour les aides à la dépendance, et les ressources propres des personnes âgées pour l'hébergement. Or, le budget consacré par les pouvoirs publics sur les deux premiers postes reste insuffisant, d'où un taux d'encadrement faible, de l'ordre de 0,6 employé par patient contre près de 1 en Allemagne. Cela explique la multiplication des cas de maltraitance même au sein d'organismes à but non lucratif. Il faudrait presque doubler la dépense publique en faveur de la dépendance, aujourd'hui près de 1 % du PIB, pour se rapprocher de ce qui se fait dans les pays d'Europe du Nord. Cela rehausserait le taux de prélèvement obligatoire, déjà l'un des plus élevés au monde, mais l'autre approche, confier la dépendance lourde au secteur privé via une assurance obligatoire, semble trop risqué quand on voit la difficulté de réguler correctement ce secteur. Il faut certes éviter le dérapage des dépenses publiques, mais cela passe par la lutte contre certaines niches fiscales et aides sociales inefficaces. Un tel argument ne peut justifier que nous ne décidions pas collectivement d'affecter des ressources suffisantes à la dépendance
Article publié dans Les Echos le 10 février 2022. Copyright Les Echos.fr
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