Prenons le temps de réaliser et de réaffirmer que la guerre Russie-Ukraine est un drame scandaleux, anxiogène et inutile. Il est temps de définir un plan de paix. Parler de paix en temps de guerre devrait être le rôle des diplomates, spécialistes de nuances. Où sont nos diplomates?
La guerre ne pourra s’arrêter que lorsque des conditions réalistes et crédibles de sécurité de toutes les parties seront remplies. L’Ukraine veut pouvoir se développer socialement, politiquement et économiquement dans le respect de ses frontières et de ses choix, sans subir la présence continuelle, stressante et menaçante d’une épée de Damoclès. La Russie aussi.
Il faut avoir le courage de comprendre que nous sommes, Ukrainiens, Russes et Occidentaux, embourbés présentement dans un cercle vicieux, où chaque camp réagit aux actions et stratégies de l’autre. Un équilibre de réactions rationnelles, mais myopes, s’est développé: la coalition É.-U.-UE-OTAN refuse les demandes de la Russie d’éviter l’otanisation des pays à ses frontières afin de réduire son sentiment d’insécurité; la Russie se positionne alors aux portes de l’Ukraine, la vieille Rous; la coalition É.-U.-UE-OTAN durcit le ton et annonce le renforcement militaire de l’OTAN aux portes de la Russie; la Russie envahit l’Ukraine; la coalition É.-U.-UE-OTAN impose des sanctions économiques et diplomatiques à la Russie, à ses dirigeants et leurs amis oligarques; la Russie intensifie ses attaques contre l’Ukraine; la coalition procède à l’envoi massif d’armes en Ukraine et entreprend une escalade des sanctions contre les institutions, athlètes, artistes et simples citoyens russes; la Russie consolide ses liens avec la Chine; et on recommence et recommence.
Un va-et-vient de comportements stratégiques réactifs en apparence rationnels mais nous menant inexorablement à une descente infernale vers les bas-fonds, sur le dos des populations les plus vulnérables d’Ukraine, de Russie et d’Europe au premier plan.
En Occident, les politiciens, diplomates, journalistes, anciens ambassadeurs, anciens militaires, chroniqueurs tiennent un discours guerrier répétitif à sens unique. Pour s’en sortir, il faudra plus que la politique actuelle "plus d’armes à l’Ukraine". Pourquoi pas plus d’intelligence et de courage de penser "hors des sentiers battus"? Difficile certes, mais nécessaire. La recherche de l’équilibre alternatif gagnant-gagnant sur la base d’un projet de paix est plus subtile et intellectuellement et moralement plus exigeante que la poursuite de la guerre, mais cette recherche est essentielle au bien-être de toutes les populations dévastées ou meurtries par la guerre.
Je confesse que sortir d’un mauvais équilibre de Nash est une tâche extrêmement difficile. Beaucoup plus que de continuer la même politique avec la même logique et la même détermination en répétant les mêmes discours, pour se donner une prétendue "position de négociation avantageuse". On finit par se creuser un trou sur le dos du monde ordinaire, ukrainien et russe d’abord, mais aussi européen, américain et canadien.
Le mauvais équilibre actuel se stabilise de plus en plus avec l’envoi croissant d’armes lourdes en Ukraine et l’intensification des attaques russes. La Russie et l’Occident, par l’entremise de l’Ukraine, poursuivent le même objectif, plutôt illusoire, de mettre à genoux l’autre partie. Nous risquons aujourd’hui d’être empêtrés et enchaînés dans ce mauvais équilibre pour un bon bout de temps, avec son lot quotidien de souffrances, de malheurs, de destructions et surtout de risques nucléaires, aussi terribles qu’évitables.
La guerre en Ukraine fait reculer la civilisation de plusieurs décennies, et ce, sans raison. Le libre-échange civilisateur est sérieusement mis à mal de part et d’autre au détriment des citoyens du monde.
Il nous faut une coalition capable de proposer un traité de paix en trois volets: d’abord, la définition d’une zone tampon entre les militaires de Russie et ceux de l’OTAN (É.-U.-UE) ; ensuite, un engagement formel des parties à respecter les frontières et les choix sociaux, politiques et économiques des uns et des autres; enfin, un engagement tout aussi formel des parties, É.-U.-UE et Russie, d’intervenir militairement si l’une d’entre elles devait s’aventurer militairement dans un des territoires de la zone tampon.
Cette zone tampon entre les militaires de Russie et de l’OTAN (É.-U.-UE) serait constituée des pays limitrophes de la Russie, à savoir la Suède, la Finlande, l’Estonie, La Lettonie, la Lituanie, la Biélorussie, l’Ukraine, la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Un traité ou une alliance de "type défensif", comme l’OTAN, basé sur une liberté responsable et un équilibre raisonnable avec garanties incitatives.
En échange d’une garantie de la Russie et des Occidentaux (É.-U.-UE) de respecter les choix sociaux, politiques et économiques des pays de la zone tampon, ces pays, l’Ukraine en tête, s’engageraient à une neutralité internationale, hors de l’OTAN, de l’UE ou d’une nouvelle URSS. Sous les auspices d’une Organisation mondiale du commerce revigorée, le traité garantirait le droit de ces pays de conclure des accords commerciaux avec l’Europe et la Russie et d’autres parties du globe, telles la Chine, l’Afrique et l’Amérique. Et pourquoi pas des accords d’échanges multipartites scientifiques, culturels, sportifs et autres?
Les dirigeants des États de la zone tampon pourraient alors concentrer leur énergie au développement sociopolitique et économique de leur pays respectif, en toute sécurité et en toute liberté. Rien ne les empêcherait par exemple d’être avec la Russie membres du Conseil de l’Europe et d’autres organisations de concertation et de coopération internationales.
Des volontaires pour porter ce message de paix? L’autre solution à terme, c’est un partage de l’Ukraine après plusieurs années, voire plusieurs décennies, de turbulences en deux territoires, l’un russe et l’autre ukrainien.
Tribune publiée le lundi le 17 juin dans Le Devoir, quotidien de Montréal https://www.ledevoir.com/opinion/idees/814960/idees-temps-paix-ukraine