Une assurance-retraite collective vise à couvrir deux types de risque. Celui de vivre longtemps au point de ne plus pouvoir subvenir à ses besoins. Et celui d'avoir, au contraire, des problèmes de santé qui imposent d'arrêter plus tôt le travail et diminuent l'espérance de vie.
La couverture du premier risque a été au coeur des préoccupations de notre système de retraite édifié après-guerre, délaissant le second et conduisant en partie à des transferts antiredistributifs : les riches, qui vivent plus longtemps, sont subventionnés par les plus pauvres, à qui il reste statistiquement moins d'années à vivre à la retraite. L'écart est encore plus fort en termes d'espérance de vie « en bonne santé » à 50 ans : neuf ans de plus pour les professions les plus qualifiées que pour les ouvriers, qui, en moyenne, n'atteignent pas l'âge de 64 ans en bonne santé.
Déterminisme social
Compenser ces inégalités d'espérance de vie doit être l'une des priorités. Près d'un quart des écarts mentionnés résulterait de facteurs comportementaux tels que l'obésité, l'inactivité physique, le tabagisme. Mais les études ont montré que tout cela dépend essentiellement de nos origines sociales, de nos conditions de vie pendant l'enfance, donc d'une certaine forme de détermination sociale que les principes de justice devraient nous conduire à corriger.
Bien sûr, ce n'est pas si simple. Mesurer la pénibilité du travail n'est pas idéal, car celle-ci n'explique qu'une faible part des inégalités d'espérance de vie - la fin des régimes spéciaux, censés protéger des métiers autrefois très pénibles, est à cet égard cohérente. Réaliser des bilans de santé au moment de partir à la retraite peut sembler judicieux, mais ceux-ci restent très imparfaits.
La solution mise en place ces dernières années est un compromis perfectible : permettre de partir plus tôt à la retraite, grâce à l'accumulation de points mesurant la pénibilité du travail ou si un examen médical permet d'identifier une maladie professionnelle induisant un taux d'incapacité significatif. Il y a, certes, une forte corrélation entre les trois facteurs considérés ici - origine sociale, espérance de vie et pénibilité du travail -, mais on laisse ainsi de côté tous ceux dont le mauvais état de santé n'est pas directement imputable à la profession.
Des dépenses stabilisées
Le débat devrait se focaliser sur ces questions, ce qui supposerait que l'Etat mette à la disposition du grand public des mesures de la redistribution avant et après réforme, et des analyses de cas types. La cacophonie gouvernementale l'a déplacé sur un tout autre terrain. Les Français sont ainsi persuadés que l'objectif de la réforme est d'économiser sur le dos des retraités. En réalité, en choisissant d'indexer la valeur du point sur les salaires, la réforme envisagée par le gouvernement permet de stabiliser la part des dépenses à 14 % du PIB. Sans cette réforme, il était prévu une baisse de ces dépenses et une diminution de près de 15 % du niveau de vie relatif des retraités d'ici à trente ans en raison de l'indexation des pensions sur les prix.
L'annonce d'un âge pivot vient accentuer la confusion. Une telle mesure est incohérente avec la philosophie d'un système à points qui vise à offrir à chacun une retraite « à la carte » reflétant le montant de ses cotisations passées et de ses années à venir à la retraite. Pénaliser davantage ceux qui ne pourront travailler jusqu'à l'âge de 64 ans peut sembler d'autant plus injuste que le débat sur la prise en compte des inégalités d'espérance de vie en bonne santé a été occulté.
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