Pour résoudre les tensions inflationnistes sur les marchés, les dirigeants politiques devraient utiliser les prix comme guides de l'action publique plutôt que de tenter de les manipuler, estime Wilfried Sand-Zantman.
Les Français ont un problème avec les prix. Entre les blocages du prix de l'essence, les tentatives malheureuses de panier anti-inflation ou restriction sur les loyers, il est rare de passer une année sans que les gouvernements, quels qu'ils soient, ne tentent d'orienter les marchés en jouant sur les prix.
À court terme, cette politique est souvent populaire, car tout le monde veut protéger les plus fragiles dans la société. Et jouer sur le prix est la façon la plus naturelle, la plus directe, la plus rapide et la plus visible. Mais est-elle la plus efficace ?
S'il s'agit de protéger temporairement les Français contre une spéculation ou bien des pratiques anticoncurrentielles, une forme d'encadrement des prix peut être bienvenue - même si d'autres moyens existent.
Demande élevée, offre faible
Mais lorsque les hausses de prix proviennent - et c'est généralement le cas - d'une inadéquation entre l'offre et la demande, la régulation des prix n'a aucune chance de résoudre le problème initial. Lors de la crise énergétique, les Allemands l'ont mieux compris en proposant des aides financières aux consommateurs en fonction de leurs consommations passées, évitant ainsi de distordre artificiellement les prix de marché.
Un prix élevé, c'est d'abord la conséquence d'une demande élevée et d'une offre faible. La hausse des prix de l'énergie des derniers mois venait d'une baisse de l'offre et un blocage des prix n'avait aucune chance de changer cette situation, la principale conséquence ayant été d'engendrer des pertes records pour EDF (près de 18 milliards d'euros en 2022).
Pire, en offrant des rabais, comme dans le cas de l'essence, les gouvernements incitent à la consommation dans des moments où l'offre est limitée, aggravant du même coup le problème initial.
Risque de renforcer la pénurie
Lorsque l'offre nécessite des investissements dans la durée, ces blocages de prix sont susceptibles de limiter l'offre future et renforcer la pénurie. Dans le secteur immobilier qui a vu les normes se développer et donc les coûts augmenter, les blocages de prix dans certaines zones tendent à figer les investissements.
Par exemple, si à Paris la régulation des prix à la location a permis de limiter les hausses des loyers ces dernières années, modération également aidée par une désertification de la capitale, elle s'est accompagnée une baisse spectaculaire des mises en chantier (deux fois moins importantes qu'il y a dix ans dans la capitale).
Dans d'autres secteurs comme l'agroalimentaire, les tentatives de blocage de prix, pour faire plaisir aux consommateurs-électeurs, ont été combattues par les producteurs qui ont rappelé que les prix correspondent à des coûts de production. Et que maintenir artificiellement des prix bas, c'est dissuader la production et conduire à des pénuries encore plus graves dans le futur.
En phase avec l'évolution de la demande
Ce rappel à la réalité a été écouté cette fois-ci, mais tous les secteurs n'ont pas le pouvoir d'influence des paysans français. Et les tentations de réglementation tarifaire reviendront. Si les prix sont si mal aimés en France, c'est parce que les Français n'aiment globalement pas beaucoup le marché, mais aussi parce que les prix nous rappellent les conséquences de nos choix passés.
Cela fait des années que, en grande partie pour des raisons réglementaires, les investissements immobiliers ou énergétiques ne sont plus en phase avec les évolutions de la demande mettant ainsi ces marchés à la merci de chocs inflationnistes.
Plutôt que de se voiler la face en cassant artificiellement les prix, il serait temps de prendre les évolutions des prix comme une indication des besoins de la population, de notre capacité collective à y répondre, et d'orienter les choix publics de long terme en conséquence. Ce sera la meilleure façon de protéger sur le long terme ceux que les gouvernements prétendent défendre.
Article paru dans Les Echos le 19 mars 2023
Photo de Krzysztof Hepner sur Unsplash