Si la réforme annoncée de la SNCF veut mettre un terme à l’augmentation inexorable de sa dette, elle est aussi motivée par la nécessité de transposer la récente directive européenne qui fixe le cadre juridique de l’ouverture à la concurrence sur les lignes à grande vitesse (LGV) à partir de 2020, puis sur les lignes régionales (TER, TET) au plus tard en 2023.
En ce qui concerne les LGV, la réforme préconise le « libre accès » ou la « concurrence sur le marché », qui consiste à partager les tranches horaires de circulation sur une même ligne pour permettre à différents opérateurs d’y faire rouler leurs trains. Selon la directive européenne, la concurrence doit conduire à l’amélioration des services proposés aux usagers. Qu’en serait-il exactement pour le TGV français ?
Pour répondre à cette question, il faut pouvoir comparer la situation actuelle à celle qui prévaudrait après ouverture à la concurrence. Cet exercice est rendu possible au moyen d’un outil de simulation que nous avons construit en prenant comme référence les liaisons Paris -Bordeaux et Paris - Marseille. Cet outil est tout d’abord calibré pour reproduire au mieux la situation actuelle, dans laquelle la SNCF est confrontée à la concurrence des autres modes de transport – aérien et covoiturage notamment.
Il se veut réaliste : d’une part, il admet que les voyageurs prennent leurs décisions en matière de déplacement en fonction des prix proposés, mais également selon leurs goûts et la qualité attribuée à chaque mode de transport ; d’autre part, il considère que les entreprises de transport ne sont pas naïves et fixent leurs prix en anticipant la réaction de leurs concurrents et en tenant compte des préférences des voyageurs.
Les très faibles marges du TGV
Un premier enseignement de ce travail est que le problème de rentabilité des TGV – qui dégagent de très faibles marges – n’est pas le résultat de la seule pression concurrentielle des autres modes de transport. S’il n’est pas surprenant de constater que l’objectif de la SNCF n’est pas la maximisation du profit à court terme, il est plus étonnant d’observer que la SNCF cherche à privilégier ses parts de marché au détriment de sa situation financière actuelle.
Deux explications peuvent être avancées : soit c’est une conséquence de la régulation actuelle qui conduit l’opérateur historique à assumer des obligations de service public implicites à travers un nombre élevé de dessertes et, corrélativement, à voir ses tarifs réglementés ; soit il s’agit d’une stratégie de la SNCF anticipant un éventuel durcissement de cette régulation ou cherchant à bloquer l’entrée de tout concurrent. In fine, l’opérateur historique propose une offre abondante à des prix bas, ce qui favorise certes le voyageur, mais se traduit par une offre coûteuse au détriment du contribuable français.
Le deuxième enseignement de nos simulations est que l’ouverture à la concurrence ne garantit en rien une baisse des prix favorable au voyageur ; ceux-ci pourraient même remonter si la pression exercée sur l’opérateur historique se relâchait ! Si ce scénario extrême reste hypothétique, un scénario tout à fait envisageable serait que les concurrents potentiels renoncent tout simplement à entrer sur ce marché.
Dès lors que l’offre ferroviaire est surabondante, il n’y a en effet guère d’espace pour venir concurrencer la SNCF avec quelques trains. Un partage équilibré de la ligne entre la SNCF et un nouvel entrant semble plus pertinent, mais l’impact sur les tarifs reste très difficile à prévoir, car il n’est pas évident que la SNCF continue à privilégier autant le voyageur une fois réalisée l’ouverture à la concurrence.
Appel d’offres
Les exemples étrangers sont instructifs. Faire rouler plusieurs trains en concurrence sur une même ligne ne semble avoir été vraiment efficace que dans un seul pays, l’Italie. Un opérateur privé est entré en 2012 sur le marché TGV en concurrence frontale avec l’opérateur historique Trenitalia. Mais le succès italien résulte d’une situation opposée à celle de la France : l’offre ferroviaire y était insuffisante, et l’arrivée de ce nouvel entrant a conduit Trenitalia à augmenter de 30 % sa capacité de transport.
Aujourd’hui, cette situation est corrigée, et le jeu de la concurrence semble limité, les offres des deux opérateurs étant quasi identiques. En dehors de ce cas, l’ouverture à la concurrence a eu peu d’effets : des parts de marché en deçà de 1 % pour les nouveaux entrants en Allemagne et au Royaume-Uni, ailleurs quelques rares liaisons desservant Prague, Stockholm et Vienne. Et il n’y a pas d’exemples où plus de deux opérateurs soient en concurrence...
Faut-il alors renoncer à toute forme de concurrence sur les marchés de TGV ? Selon nos travaux, il serait préférable de retenir l’approche préconisée par la directive européenne pour le transport régional : confier l’intégralité de la gestion et de l’exploitation d’une ou d’un ensemble de lignes à un seul opérateur choisi par appel d’offres. La concurrence intervient alors au moment du renouvellement des concessions, accordées pour un temps limité.
Cela ne va pas sans difficultés – les transferts du personnel, de la gestion des gares et du matériel roulant sont cruciaux –, mais cette démarche peut permettre à un nouvel opérateur d’inventer de noueaux modes opératoires, d’abaisser les coûts d’exploitation du réseau ou d’améliorer le service. Elle peut aussi conduire à une remise en cause plus transparente de l’organisation du réseau en fonction des besoins exprimés, afin de décider du maintien ou du renouvellement des lignes, du nombre de dessertes, du niveau de la subvention publique. Le débat sur l’ouverture à la concurrence ne fait que commencer.