Les effets de la dépénalisation de certaines drogues illicites sont complexes et difficiles à prévoir. Mais la discussion publique autour de cette perspective, elle, est toujours aussi passionnée, notamment autour de l’impact que la dépénalisation peut avoir dans plusieurs domaines : la consommation, la qualité des substances vendues, la santé des consommateurs, leurs autres habitudes de consommation, le degré de criminalité auquel le commerce est associé…
Une étude récente permet d’évaluer les effets sur la criminalité de la dépénalisation de la consommation de marijuana pour des utilisations médicales (Medical Marijuana Laws), mise en place par plusieurs Etats américains ces dernières années (« Is Legal Pot Crippling Mexican Drug Trafficking Organisations ? The Effect of Medical Marijuana Laws on US Crime », Evelina Gavrilova, Takuma Kamada et Floris Zoutman, Economic Journal (https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/ecoj.12521) , 16 novembre 2017).
Il est ici important de préciser que les Medical Marijuana Laws dépénalisent non seulement la consommation, sous certaines conditions, mais aussi la production. Elles créent ainsi une concurrence aux organisations clandestines criminelles, notamment d’origine mexicaine, qui contrôlaient jusqu’ici la grande majorité de la production destinée au marché américain. Cette nouvelle concurrence réduisant les rentes associées au commerce illégal diminue-t-elle les conflits que cette course au profit provoquait ?
Comparaison « avant » - « après »
Pour répondre à cette question, les auteurs ont utilisé une méthodologie appelée « difference-indifference » pour comparer l’évolution du taux de criminalité violente après la dépénalisation médicale de la marijuana dans certains Etats avec cette même évolution dans les Etats qui n’ont pas eu recours à la dépénalisation.
Une simple comparaison entre « avant » et « après » dans un même Etat pourrait être trompeuse, car il peut y avoir d’autres facteurs qui influencent l’évolution de la criminalité dans le temps (les Etats-Unis se trouvent dans une période de baisse importante de la criminalité violente ces dernières années, une statistique contre-intuitive au vu de l’actualité américaine).
C’est pour cette raison que les auteurs cherchent à déterminer l’impact au-delà de ce qui aurait été prévu si la tendance de la criminalité avait évolué comme dans les Etats sans dépénalisation. « La clandestinité d’un commerce très hautement rentable dope les profits des criminels qui continuent à l’assurer, ces profits les incitant à les défendre par tous les moyens, y compris les plus violents » (Plants de cannabis). LEONHARD FOEGER / REUTERS
Les chercheurs se sont tout particulièrement intéressés aux communes proches de la frontière mexicaine, car c’est ici que les organisations criminelles ont concentré la plupart de leurs forces et de leur activité. Ils constatent que, à la suite de la dépénalisation, le taux de criminalité violente a baissé de 12,5 % en moyenne dans ces communes, avec une baisse de 40,6 % des homicides liés au commerce clandestin de la drogue. Les effets dans les communes éloignées de la frontière sont bien plus faibles.
D’autres effets bénéfiques
Les auteurs ont été soucieux de tester des hypothèses alternatives, comme la possibilité que la dépénalisation ait permis aux autorités de mieux concentrer les moyens de la police sur la criminalité violente au lieu de la consommation illicite de marijuana. Mais ils observent qu’il n’y a paseu de baisse du nombre d’arrestations pour consommation non-médicale de marijuana.
Il existe bien sûr d’autres effets de la dépénalisation médicale, certains bénéfiques et d’autres moins, et un bilan global ne peut se faire uniquement sur la base des effets sur la délinquance violente. L’augmentation prévisible de la consommation pourrait avoir d’autres effets sur la santé que ceux qui ont justifié la dépénalisation.
Mais depuis l’histoire de la Prohibition aux Etats-Unis dans les années 1920, il n’est pas surprenant que la clandestinité d’un commerce très hautement rentable dope les profits des criminels qui continuent à l’assurer, ni que ces profits élevés ne les incitent à les défendre par tous les moyens, y compris les plus violents.