Interview accordée à Libération - Pauline Achard — 30 juillet 2020
La nationalisation d’Air France-KLM est-elle inéluctable ? Si oui, sera-t-elle définitive ?
Je serais très étonné que la Commission européenne la valide. Il y a deux étapes dans une nationalisation. Il faut d’abord racheter les parts des actionnaires, puis injecter une somme supplémentaire pour faire gonfler le capital de l’entreprise. Et là, cela poserait un problème à la Direction générale de la concurrence, parce qu’à la différence du prêt de 7 milliards que l’Etat vient de faire à la compagnie française, cela impliquerait une intervention directe dans le capital sur une longue période. A l’échelle française, cela passerait peut-être, mais à l’échelle européenne, il est clair que d’autres compagnies, comme Ryanair, y feraient objection. Si toutefois cette nationalisation se faisait, elle ne serait que temporaire, ce n’est pas le rôle de l’Etat de gérer des entreprises commerciales de ce type. Je pense que nous nous dirigeons plus vers une restructuration du secteur aérien en Europe, avec des fusions entre compagnies par exemple. A ce stade, la seule solution pérenne à la crise qui touche le secteur aérien est un remède au virus.
Pensez-vous qu’un retour à la normale avant 2024 soit possible pour les compagnies aériennes à bas coût ?
Un certain nombre de compagnies aériennes, dites low-cost, ont d’importantes réserves financières. C’est le cas en particulier de Ryanair, qui peut encore se permettre d’avoir une certaine flexibilité sur les prix malgré la baisse de ses revenus. Cela prouve qu’ils n’ont pas tout à fait épuisé les stocks. Mais ce n’est pas un puits sans fond. Si la situation sanitaire ne s’améliore pas rapidement en Europe, il est possible que même les grandes compagnies à bas coût soient en difficulté à moyen et long terme. Les plus petits transporteurs aériens souffriront gravement des retombées de l’épidémie avant cela, dès septembre, parce qu’ils ne peuvent pas se permettre d’augmenter les prix au risque de perdre leur clientèle. D’une certaine manière, on le voit avec la filière Hop ! d’Air France qui envisage déjà de supprimer plus d’un millier de postes. L’Etat aide les entreprises pour le moment, mais le souci, c’est que lui non plus ne pourra pas le faire indéfiniment.
Dans ce marasme du transport, l’aérien va-t-il s’en sortir ?
Le gouvernement dépense de l’argent pour faire de la rénovation thermique, pour relancer l’économie, mais peu importe la somme allouée au secteur aérien, il faut que les gens montent dans l’avion. En attendant, le rôle de l’exécutif est de leur tenir la tête au-dessus de l’eau, de maintenir les salaires, maintenir les plans d’investissement. Combien de temps, je ne sais pas.
Les exigences environnementales croissantes menacent-elles l’avenir des compagnies aériennes ?
Les émissions de CO2 dues à l’aviation représentent moins de 2 % des émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, les pouvoirs publics l’érigent en tête de gondole des activités polluantes. La Convention citoyenne pour le climat préconise la suppression des vols intérieurs quand il existe une alternative bas carbone qui dure moins de deux heures et demie à l’horizon 2025. J’estime que c’est un leurre, que l’on se trompe de cible, puisque la voiture contribue davantage au réchauffement climatique en rejetant plus de gaz à effet de serre. Si la proposition est bel et bien adoptée par le gouvernement, non seulement les émissions de CO2 ne baisseront quasiment pas, mais surtout les compagnies aériennes à bas coût n’y résisteront pas. Et à la fin, ce sont le rail et les compagnies ferroviaires comme la SNCF qui en profiteront. Elles auront ainsi tout loisir de faire exploser leurs tarifs TGV grâce à l’absence quasi totale de concurrence.
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