Chronique. Les chercheurs en sciences économiques se sont penchés sur les questions soulevées par le Covid-19 à une vitesse qui a dû surprendre ceux qui connaissent plutôt les lenteurs de la recherche dans ce domaine, et surtout les délais étouffants des processus de publication. Or, la revue Covid Economics, créée par le Centre for Economic Policy Research (l’un des plus importants centres de recherche économique, basé à Londres), vient de sortir son 36e numéro en tout juste 14 semaines !
Cette revue propose quelque 240 articles de recherche (en « préprint », c’est-à-dire soumis à un premier regard rapide d’un comité de lecture). En toute transparence, je vous avoue que je fais partie dudit comité de lecture. Ces 240 articles nous permettent d’observer comment l’arrivée du Covid-19 a modifié les préoccupations des chercheurs : quels ont été leurs thématiques de recherche, leurs approches, leurs biais éventuels.
Les sujets traités peuvent être répartis en six catégories (certes subjectives) correspondant a priori aux préoccupations classiques des chercheurs.
La première, qui correspond également à l’image que se fait le public du travail des économistes, concerne l’impact macroéconomique de la pandémie (sur la croissance, le chômage, l’inflation) ou sur certains secteurs comme la Bourse et l’industrie. Ces thèmes correspondent à 67 articles sur 240, soit 28 % – ce qui n’est pas une proportion très élevée compte tenu de leur poids dans les médias et le discours politique. Le deuxième sujet, tout aussi attendu de la part d’économistes, est l’arbitrage entre les coûts humains de la maladie et ses coûts économiques. Ce sujet demande une estimation de la valeur économique de chaque vie sauvée, une technique qui est essentielle pour beaucoup de décisions politiques (sur la sécurité routière par exemple) mais qui provoque souvent des réserves importantes dans le public. 36 articles traitent de ce thème, soit 15 % du total.
Un dialogue entre économistes et épidémiologistes
Plus surprenant pour ceux qui pensent que les économistes s’intéressent trop aux questions d’efficacité et pas assez aux questions de distribution, 48 articles (20 % du total) étudient la répartition de l’impact de la pandémie sur divers groupes socio-économiques. Et 35 (environ 15 %) observent la modification des comportements des individus face à la crise selon leur perception du risque, leur niveau d’éducation, leur type d’emploi, leur confiance envers les institutions de l’Etat et leurs concitoyens.
Ces analyses apportent un complément important au travail des épidémiologistes, car elles montrent comment les paramètres de transmission du virus sont modifiés par les décisions individuelles, et pas seulement par les mesures de politique sanitaire publique. Deux catégories supplémentaires révèlent des chiffres encore plus surprenants. En effet, 49 papiers, soit plus de 20 %, analysent l’impact de différents facteurs sur le nombre d’infections et la mortalité due au virus. Les économistes viennent ainsi se placer directement sur le terrain des épidémiologistes, créant un dialogue entre ces deux disciplines.
En revanche, la sixième catégorie, à savoir la résilience des systèmes économiques aux chocs de la pandémie, ne fait l’objet que de 5 papiers, soit 2 % du total : les chercheurs semblent plus intéressés par la fragilité du système que par les facteurs qui pourraient contribuer à augmenter sa résilience.
Certes, ces articles ne constituent pas un échantillon représentatif de l’activité des économistes. Une étude a par ailleurs montré que les femmes sont sous-représentées dans le travail sur le Covid-19, même par rapport à leur représentation, déjà faible, dans la profession (« Who is doing new research in the time of Covid-19 ? Not the female economists », Noriko Amano-Patino, Elisa Faraglia, Chryssi Giannitsarou, Zeina Hasna, Vox EU/CEPR, 2 mai 2020). Le Covid-19 semble décidément frapper de façon très inégale, y compris dans le monde de la recherche économique…
Cet article est paru dans Le Monde (site web) le 16 juillet 2020