Interview accordée au média l'OPINION le 07 août 2019
Le dernier rapport du GIEC met en avant une surexploitation des sols. Peut-elle, comme le dérèglement climatique, être imputée au modèle capitaliste ?
Le capitalisme n’est qu’un système permettant de satisfaire les besoins et les aspirations des hommes et des femmes. Critiquer le système pour l’excès de consommation est une façon simple de dédouaner ces derniers de leurs responsabilités envers les générations futures. Quand un pécheur vend du poisson à une personne, qui est « coupable » de la surexploitation de la ressource halieutique ? Le pécheur, le consommateur ou le marché qui permet cet échange ? Historiquement, le capitalisme encadré par des Etats régulateurs forts a été un meilleur système que les régimes d’économie planifiée dans le domaine de la gestion de l’environnement. Mais au-delà de la question du système, il faut s’interroger sur l’éthique et la morale de notre propre ensemble de valeurs, qui hypertrophie le désir de satisfaction des besoins immédiats sur les enjeux de soutenabilité.
Les conclusions du GIEC sont plus alarmistes d’année en année. Croyez-vous qu’il existe un point de non-retour pour agir et qu’il faut donc repenser tout notre modèle ?
La lutte contre le changement climatique est un enjeu de très long terme. Certains climatologues – ce que je ne suis pas – pensent qu’il existe des boucles de rétroaction telles qu’au-delà d’une certaine concentration de gaz à effet de serre dans l’environnement, le système climatique que l’humanité a toujours connu va diverger. La plausibilité d’un point de non-retour n’est pas certaine, et s’il existe, personne n’en connaît le niveau. Ce qui est sûr, c’est que nous allons dans le mur. Nous le savons depuis plus de trente ans, et nous appuyons sur la pédale d’accélérateur plutôt que sur le frein. Il existe aujourd’hui beaucoup d’actions de réduction d’émission de CO2 dont le coût est bien inférieur aux bénéfices climatiques qu’elles engendrent pour les générations futures, comme arrêter d’avoir recours au charbon par exemple. Il est économiquement et moralement inacceptable que ces actions n’aient pas encore été mises en œuvre.
La «croissance verte» vous apparait-elle comme un horizon politique ?
Nous sommes tous responsables ! Quand nous prenons la voiture, quand nous consommons du plastique ou des produits qui ont été transportés sur de longues distances, quand nous nous chauffons, nous prenons notre part de responsabilité dans la crise environnementale. Quand nous entreprenons ces actions, nous n’avons aucune incitation à intégrer dans nos choix leur impact sur l’environnement, et donc sur le bien-être des générations futures. Faudrait-il interdire le transport aérien ? Obliger les périurbains à utiliser les transports publics ? Forcer les propriétaires à mieux isoler leur habitation ? Qui va juger de la moralité ou la légalité de ces interdits ? Il y a dans cette révolte écologique une dimension antilibérale qui me préoccupe, d’autant plus qu’elle n’est pas structurée sur des principes moraux très solides. Les économistes, dans une quasi-unanimité scientifique, recommandent de maintenir le principe de liberté tout en responsabilisant les citoyens et les entreprises par l’application du principe pollueur-payeur. On réaligne l’intérêt privé de chacun avec l’intérêt général. Ce « prix du carbone » se situe autour de 55 euros par tonne de CO2. A ce prix, qui est proche de celui que le Parlement français avait choisi pour 2019 avant le mouvement des Gilets jaunes, toute personne, entreprise en situation de réduire ses émissions à un coût inférieur à 55 euros par tonne, serait naturellement incitée à le faire. On serait capable d’atteindre les objectifs climatiques ambitieux de la France sans avoir à se lancer dans des politiques coûteuses en moyens publics. Il s’agit effectivement de verdir la croissance française. Avec une taxe carbone uniforme, universelle et croissante dans le temps, on obtient un instrument efficace et compatible avec la préservation des libertés individuelles. Un capitalisme renforcé par une fiscalité verte.
L’Etat est-il le mieux placé pour apporter des réponses aux problématiques environnementales ?
Depuis Colbert s’est développée en France l’idée que l’Etat est toujours la solution de nos problèmes. Depuis vingt ans, l’Etat n’a pourtant pas montré beaucoup d’efficacité dans l’utilisation des moyens que les contribuables lui ont alloués pour réduire les émissions. Dans les domaines du développement de l’électricité photovoltaïque ou des biocarburants, ou de la mise en œuvre du bonus-malus automobile par exemple, l’Etat a dépensé – ou a fait dépenser – jusqu’à 1 500 euros par tonne de CO2 évitée, alors qu’il a peu fait pour réduire l’utilisation du charbon par exemple. Il est urgent d’arrêter cette politique climatique de gribouille, bien plus attentatoire au pouvoir d’achat que la taxe carbone.
Les innovations technologiques sont-elles la solution pour enrayer cette dynamique néfaste pour l’environnement ?
Les gains d’efficacité dans le photovoltaïque et l’éolien sont prometteurs, mais il existe un verrou technologique majeur dans le domaine du stockage de l’électricité qu’il va falloir lever pour que ces technologies vertes puissent vraiment prendre leur envol. Il n’est pas du tout sûr que nous y arrivions à temps. C’est pour cela qu’il faut agir dès aujourd’hui sur ce prix universel du carbone, seul outil efficace pour atteindre nos objectifs. Sans jouer l’avenir de l’humanité aux dés.