S'il faut faire litière des clichés véhiculés par Oxfam sur la baisse de la part des salariés dans le partage des richesses, reste le problème spécifique de ce partage dans le secteur de l'énergie.
La question du partage des richesses entre travail (salaires) et capital (profits réinvestis ou utilisés pour rémunérer actionnaires et banques) perdure dans le débat public avec beaucoup d'exagération. Le message mis en avant par Oxfam dans son rapport d'avril dernier est trompeur. L'ONG choisit opportunément de comparer le creux de la crise de 2009 au pic de 2021 pour évoquer une baisse de 10 points de la part captée par les salariés. En réalité, cette part reste étonnamment stable à travers les époques et entre pays développés: ceux-ci reçoivent autour des deux tiers de la valeur créée.
Les Etats-Unis font figure d'exception, avec une baisse depuis deux décennies de la part allant au travail, en lien avec la hausse du pouvoir de marché de quelques grandes entreprises. Tendance opposée en France: cette part serait stable depuis 2000, voire en légère hausse sur la dernière décennie. Malgré cela, le gouvernement français cherche à renforcer à nouveau les dispositifs d'intéressement et de participation.
Mais ces mesures sont essentiellement des dispositifs d'allégement de charges qui viennent grever notre capacité à financer la protection sociale, et risquent de n'être qu'un jeu de dupes pour les salariés: ceux-ci pensent obtenir une hausse de leur rémunération, mais ne font souvent que troquer une part de rémunération fixe contre un bonus variable à l'instar de ce qui a été observé en France dans les années 2000.
Questions de régulation
Le niveau record des profits, ces deux dernières années, pose néanmoins des questions de régulation, notamment dans le secteur de l'énergie où se concentrent les principales hausses. Celles-ci résultent de la nature même du marché de l'électricité qui exige de pouvoir équilibrer en permanence offre et demande. Des volumes d'électricité sont négociés quotidiennement sur un marché de gros pour des livraisons sur un créneau horaire précis le lendemain.
Les différentes unités de production électrique sont appelées par ordre croissant de "coûts marginaux" (le coût variable hors investissements) - le coût marginal de la dernière unité appelée fixant le prix.
Rente inframarginale
Lorsque le marché est tendu, il devient nécessaire de recourir à des énergies coûteuses (gaz, charbon). Le prix sur le marché de gros atteint des sommets et les autres producteurs bénéficient d'une importante "rente inframarginale", soit l'écart entre leur coût marginal et le prix pratiqué. In fine, le marché de l'électricité pose un double problème: des prix atteignant parfois des niveaux politiquement insupportables (du fait des profits qu'ils génèrent, des difficultés qu'ils posent lorsqu'ils se répercutent sur le marché de détail), mais souvent insuffisants pour financer des investissements essentiels (énergies renouvelables, équipements destinés à sécuriser l'approvisionnement en heure de pointe).
Face à cette situation, l'Europe a permis la mise en place du système de plafonnement et de taxation de ces rentes inframarginales. Il est important que ce dispositif reste transitoire, au risque sinon de rendre encore plus difficile le financement d'investissements cruciaux pour la transition écologique.
A cet égard, la réforme annoncée du marché de l'électricité va dans le bon sens. Car celle-ci ne cherche pas à revenir sur le fonctionnement du marché de gros, mais à le compléter en favorisant les contrats à terme, garantissant un prix au producteur ou au fournisseur sur plusieurs années, en partie mis en place par les Etats afin de soutenir l'investissement dans le renouvelable.
Article paru dans Les Echos le 3 mai 2023
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