Comment rendre acceptables les politiques climatiques ?
Débat: Adrien Fabre Maître de conférences à l’École polytechnique fédérale de Zurich / Christian Gollier Economiste et directeur général de la Toulouse School of Economics
Le Conseil d'analyse économique a publié mardi 12 juillet une étude portant sur l'attitude des citoyens vis-à-vis des politiques climatiques, qui s'appuie sur les résultats pour la France d'une enquête internationale menée dans 20 pays. Elle a été administrée en ligne en juin 2021 auprès d'un échantillon représentatif de 2 006 Français. Ces derniers s'y montrent préoccupés par le changement climatique.
"Les mesures doivent cibler les plus modestes"
Adrien Fabre, maître de conférences à l’École polytechnique fédérale de Zurich et coauteur de la note « Les Français et les politiques climatiques » du Conseil d’analyse économique.
Il faut rappeler que, globalement, les politiques climatiques sont déjà largement acceptées. Mais certaines, comme la taxe carbone ou l’interdiction des voitures thermiques, suscitent moins de soutien en France que dans d’autres pays. Pour qu’une politique soit davantage soutenue, il faut qu’elle soit perçue comme juste et efficace.
Une mesure juste, aux yeux de la population, c’est une mesure qui aide les ménages vulnérables et modestes ou qui pèse sur les ménages à plus hauts revenus. Par exemple, l’interdiction des voitures thermiques est davantage soutenue qu’un malus de 10 000 € parce que, dans le deuxième cas, les gens comprennent que les plus riches n’auront pas à changer leur mode de vie, contrairement à eux.
Pour qu’elle soit perçue comme efficace, ce doit également être une mesure d’investissement, qui permette de changer les infrastructures et les équipements : remplacement des centrales thermiques par du renouvelable, meilleur système de transports en commun, subventions pour améliorer son isolation ou changer de chaudière, etc.
Plus d’investissements publics
Les politiques incitatives ne seront donc vraiment acceptées que si des alternatives sont possibles et qu’elles ciblent les plus modestes. Les taxes comme la taxe carbone doivent arriver dans un deuxième temps. En effet, pour ces ménages, la question financière est une contrainte très forte qui freine les changements. Si on veut atteindre l’objectif européen d’être neutre en carbone en 2050, on doit, pendant la décennie qui arrive, permettre à ces personnes de changer leurs équipements pour que, en 2030 ou 2040, elles n’aient pas à subir la hausse du prix de l’énergie.
Pour financer ces alternatives, il est certain que des investissements publics supplémentaires vont être nécessaires. Selon différentes études, il faudra entre 17 et 36 milliards d’euros par an pour réussir la transition. Cela représente 1 % du PIB, c’est largement faisable. La France est riche, elle en a les moyens. On peut par exemple augmenter l’endettement public ou les taxes sur les plus hauts revenus – mesure qui serait largement soutenue.
Il faut également mieux utiliser notre argent. Il est plus efficace de mettre en place des aides ciblées que de baisser les prix ou de faire des ristournes comme ce qu’on fait avec le carburant en ce moment, ce qui avantage surtout les plus riches. Après, il reste à savoir qui on aide et où on met la limite. Est-ce qu’on décide qu’on subventionne les 30 % les plus modestes ? Ou les 70 % ? Est-ce que ce sont les 20 % les plus riches qui payeront pour tout le monde ? C’est une question difficile, qui n’est pas encore tranchée.
"Les sacrifices sont inévitables, et il vaut mieux les assumer plutôt que de les cacher au public"
Christian Gollier, économiste et directeur général de la Toulouse School of Economics, qu’il a cofondée avec Jean Tirole en 2007. Il est auteur du Climat après la fin du mois (2019), aux PUF.
Nous vivons dans l'utopie d'une transition écologique heureuse : tout le monde est d'accord pour dire qu'il y a un changement climatique, mais on n'assume pas politiquement de demander aux gens de se serrer la ceinture. Certaines mesures sont bien acceptées socialement quand elles prennent la forme de subventions : le problème, c'est que l'État s'endette et que les générations futures paieront. Quand on augmente la taxe carbone, on le perçoit directement à la pompe à essence, et ça, les gens ont du mal à l'accepter. Sauf que des sacrifices sont inévitables, et il vaut mieux les assumer plutôt que de les cacher au public.
Renforcer l’effort collectif
L'objectif principal d'une politique climatique doit être d'identifier les solutions les plus efficaces au moindre coût. La taxe carbone a l'avantage d'être un mécanisme parfaitement transparent, efficace pour réduire les émissions de gaz
à effet de serre. C'est la mise en oeuvre du principe pollueur-payeur : chacun paie à hauteur de ce qu'il émet en CO2. Donc plus on pollue, plus on paie.
En donnant le même signal-prix à tout le monde - particuliers, entreprises, État, etc. -, on incite tous les acteurs à modifier leurs comportements. En augmentant étape par étape le prix du carbone, on renforce petit à petit l'effort collectif.
C'est pourquoi il est très important que le montant de la taxe soit progressif et programmé, pour que les gens aient le temps d'adapter leurs pratiques et leur consommation. Il faut qu'ils comprennent combien leur coûteront leurs habitudes les plus carbonées dans deux, cinq ou dix ans s'ils ne font pas l'effort d'investir dans des solutions plus durables.
Taxe carbone, levier contre les inégalités fiscales
En outre, grâce à la taxe carbone, il est possible d'organiser une redistribution fiscale équitable, favorable à la lutte contre les inégalités. Aujourd'hui, les classes les plus aisées sont souvent celles qui émettent le plus de CO2, puisqu'elles possèdent des résidences secondaires, des piscines, des grosses cylindrées, qu'elles prennent l'avion... Si elles refusent de modifier leurs modes de vie, elles paieront des taxes très importantes, ce qui permettra de financer des mesures de redistribution sous forme de chèques verts aux catégories les plus modestes. La taxe carbone est un instrument qui permet d'atteindre nos objectifs en matière de réductions d'émissions de CO2 tout en luttant contre les inégalités.
Et c'est le levier, parmi la myriade de solutions dont on dispose, le plus efficace pour limiter le coût global pour nos concitoyens.
Article paru dans La Croix le 13 juillet 2022
Propos recueillis par Élia Ducoulombier et Sarah Dupont
Photo by Karsten Würth on Unsplash