Que cache le faible taux de chômage américain ?

25 Octobre 2016 Emploi

Le revers de la médaille du faible niveau de chômage amé­ricain, par rapport à celui que l’on connaît en Europe, est une baisse importante du taux de ­participation de la population au marché du travail. Alors que 67,3 % de la population américaine âgée de plus de 16 ans travaillaient ou cherchaient du travail en 2000, ce chiffre est descendu à 62,4 % en 2015 – le plus bas niveau depuis presque quarante ans.
Certes, le taux de chômage des Etats-Unis représente moins de la moitié de celui de la France ; mais on peut se demander si ce retrait des travailleurs du marché n’en est pas en partie responsable. Un article présenté le 14 octobre par l’économiste Alan Krueger à la conférence de la ­Federal Reserve Bank of Boston propose une analyse assez déconcertante de ce phénomène (« Where Have All the Workers Gone ? » « Où sont passés tous les travailleurs ? », lien vers PDF en anglais).
Tout d’abord, le retrait du marché du travail est beaucoup plus important chez les jeunes hommes que chez les jeunes femmes. La participation des hommes âgés entre 21 et 30 ans a baissé de 89,9 % à 82,3 % en vingt ans, et seule la moitié de cette baisse s’explique par un accroissement de la scolarité dans l’enseignement supérieur.
Il semble en effet probable (et d’autres travaux le confirment) que le taux de participation a baissé encore plus pour les hommes de faible niveau d’éducation, même si l’analyse d’Alan Krueger ne donne pas de chiffres à ce sujet. Seule l’Italie, parmi tous les pays de l’OCDE, avait en 2015 un taux de participation des jeunes hommes plus bas que celui des Etats-Unis.

Autoexclusion du marché du travail

Les enquêtes citées par l’auteur montrent que presque la moitié (43 %) des hommes de 25 à 54 ans qui ne ­participent pas au marché du travail ont des problèmes de santé, contre 12 % de ceux qui travaillent ou 16 % des chômeurs. Ainsi, 44 % de ces hommes disent avoir pris des médicaments contre la douleur dans les vingt-quatre heures qui ont précédé l’enquête.
Certes, le seuil de tolérance à la douleur a baissé au cours des ­années, et le recours aux calmants semble augmenter pour la population américaine en général. Mais le fait qu’il existe un groupe d’hommes qui se sont autoexclus des possibilités de travailler pour cause de douleur représente une nouvelle fracture inquiétante dans la société américaine.
Un deuxième constat, qui a déjà fait l’objet de beaucoup de discussions parmi les économistes, est que le temps consacré à des jeux vidéo par ces hommes retirés du marché du travail, selon l’enquête la plus rigoureuse qui ait étudié la question, s’élève à presque sept heures par semaine en moyenne.
Il est difficile de savoir dans quelle mesure les jeux vidéo sont un soulagement pour ceux qui ne peuvent pas participer au marché du travail pour d’autres raisons, et dans quelle mesure ils peuvent en eux-mêmes contribuer à ce désen­gagement économique…

Désengagement

A ces deux constats s’ajoutent d’autres aspects de l’évolution de la société américaine ces dernières années, comme la montée du taux d’incarcération depuis les années 1990.
En dehors de la question de l’avenir de ces hommes sans activité économique, et trop souvent sans formation adaptée pour en trouver, se pose la question de leur relation sociale et politique avec le reste de la société américaine. La campagne prési­dentielle de 2016 a révélé des différences profondes dans les intentions de vote entre les hommes et les femmes, et entre les non-diplômés et les diplômés, les premiers penchant pour ­Donald Trump et les seconds pour Hillary Clinton. Quelle que soit l’issue du scrutin, le clivage entre ces groupes démographiques ne semble pas près de disparaître.
Reste donc à savoir si le désenga­gement économique des jeunes hommes peu diplômés est accompagné par un désengagement politique, ou si, au contraire, leur mise à l’écart du marché du travail donne lieu à des revendications politiques encore plus fortes. De la réponse à cette question va peut-être dépendre l’issue des ­élections futures, sinon en 2016, certainement dans les cinq à dix prochaines années.

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