La France serait l'un des pires pays développés en termes d'inégalités des chances.
Selon l'OCDE , il faudrait en moyenne six générations pour que les descendants d'une famille pauvre réussissent à gagner le revenu moyen, alors que deux ou trois générations suffisent dans les pays nordiques.
Notre pays serait également celui où les écarts de mortalité sont les plus élevés entre travailleurs manuels et non manuels, reflétant sans doute l'impossibilité pour les ménages les plus modestes de payer pour leur santé faute de disposer d'une mutuelle. Et les études Pisa indiquent que la réussite scolaire dépend plus fortement qu'ailleurs du niveau socio-économique des parents.
Une mobilité sociale entravée par des inégalités d'accès à la santé et à l'éducation donc, mais également par des discriminations à l'embauche : toujours selon l'OCDE , la population masculine d'origine nord-africaine vivant en France serait l'une des plus discriminées dans l'accès au marché au travail.
La situation est bien différente en matière d'inégalités de revenu grâce à la redistribution : en France, le taux de pauvreté est l'un des plus faibles d'Europe, la part des revenus après impôt captée par la moitié la plus pauvre de la population a augmenté au cours des trente dernières années - différence flagrante avec ce qu'observe Thomas Piketty sur les Etats-Unis.
Mais la société française dans son ensemble pourrait fortement y gagner si nous réussissons à refaire fonctionner l'ascenseur social : deux études en cours de publication indiquent que la résorption de ces inégalités des chances constitue un gisement considérable de croissance.
A travers une mesure précise de la baisse des discriminations aux Etats-Unis, un premier travail tend à montrer que celle-ci expliquerait jusqu'à près de 20 % de la croissance américaine sur une période de cinquante ans, et que les réduire encore davantage pourrait rehausser de 10 % la richesse produite par l'économie américaine. Ainsi, alors que près de 94 % des doctorants et juristes étaient des hommes blancs en 1960, ils n'étaient plus que 62 % en 2010.
Cette évolution résulte à la fois d'une baisse de la discrimination à l'embauche, d'une réduction des inégalités d'accès à l'éducation, ainsi que d'une évolution des normes sociales qui conduisent moins les femmes ou les personnes d'origine africaine à reproduire un certain déterminisme social.
Ce qui compte est de permettre aux talents de s'exprimer, et de contribuer ainsi à la création de richesse. Un second travail montre que les Etats-Unis auraient quatre fois plus d'inventeurs - au sens de « dépositaire d'un brevet » - s'ils levaient les obstacles qui entravent les minorités, les femmes et les personnes d'origine modeste. La probabilité de déposer un jour un brevet dépend du niveau scolaire - par exemple le niveau en math en quatrième -, mais les chercheurs montrent que ce critère n'explique pas que ces catégories discriminées soient plus rarement des inventeurs.
L'environnement est la clef : devenir inventeur dépend étroitement du voisinage dans lequel l'individu a passé son enfance. Une femme le deviendra si elle a été élevée dans un endroit où des femmes déposaient des brevets. Lever les barrières à la mobilité sociale mais également favoriser la mixité et le brassage de population permettra, pour reprendre les analogies employées par les auteurs, à de futures « Marie Curie » ou à des « Einstein » d'origine maghrébine d'exprimer tous leurs talents et à l'économie française de gagner en compétitivité.
Article publié dans les Echos.fr