Les taxes sur l'essence en Europe ont conduit à adopter des voitures moins énergivores qu'aux Etats-Unis, où l'essence est quasi exempte de taxe. La preuve qu'une taxe carbone sur la consommation des ménages est indispensable à la transition énergétique. Mais comment le faire sans accentuer les inégalités ? s'interroge Frédéric Cherbonnier.
Le Conseil de l'Union européenne vient d'approuver la création d'un second marché carbone, devant en théorie se traduire à partir de 2026 par l'incorporation d'un prix du carbone dans les dépenses de transport et de chauffage des ménages.
Une telle mesure est plébiscitée par les économistes qui la savent bien plus efficace cace pour contrer le réchauffement climatique que les normes environnementales. Pour s'en convaincre, il suffit de voir à quel point les taxes sur l'essence en Europe ont conduit à adopter des voitures moins énergivores que dans un pays comme les Etats-Unis où l'essence est quasi exempte de taxe. Et se rappeler les scandales sur les standards techniques, comme l'affaire Volkswagen, montrant combien les normes environnementales sont rendues inefficaces, voire contre- productives, par les experts issus de l'industrie chargés de les concevoir.
Pour autant, taxer essence et électricité est une mesure régressive qui accroît les inégalités. Solution naturelle : redistribuer les sommes ainsi prélevées via un transfert forfaitaire bénéficiant à tous. Une étude des économistes Emilien Ravigné et Franck Nadaud analyse les effets d'une taxe carbone de 158 euros, soit la valeur qui découlerait de la mise en oeuvre de la stratégie nationale bas carbone en 2025. Une telle taxe pèserait deux fois plus, en proportion du revenu, sur les ménages les plus pauvres (premier décile) que sur le reste de la population.
Rétrocéder de façon uniforme les sommes prélevées (près de 1.500 euros par ménage) ne garantirait le pouvoir d'achat que de 80 % de cette catégorie de la population, et réduirait de moitié le gain environnemental espéré en matière de réduction des émissions de CO2.
En revanche, comme cet effet dit « rebond » se concentre pour une large part sur les ménages les plus aisés qui sont moins sensibles à la hausse du prix du carbone, cibler la redistribution sur les ménages les plus pauvres, voire ceux localisés dans les communes rurales et petites aires urbaines, comme le préconisait déjà en 2019 un rapport du Conseil d'analyse économique, corrigerait mieux la régressivité de la politique tout en assurant son efficacité environnementale.
Pour autant, même accompagnée d'une mesure redistributive, une telle orientation fait l'objet d'un rejet massif à travers le monde. Tel est l'enseignement d'un sondage portant sur les populations de 27 pays couvrant plus de 70 % des émissions mondiales de CO2. Sont au contraire plébiscitées les dépenses publiques en faveur des infrastructures de transport et de l'isolation des bâtiments - oubliant au passage que de telles dépenses doivent in fine être financées par des taxes !
Mais la solution est peut-être là : annoncer un projet d'augmentation progressive de la taxation du carbone tout en décrivant précisément comment les sommes prélevées seront utilisées. D'abord pour financer une mesure redistributive en faveur des ménages les plus touchés, laissant progressivement place à des investissements dans la transition écologique - prime à la conversion vers des voitures électriques, subventions contre les passoires thermiques et un programme ambitieux de développement des transports en commun.
Une taxe carbone à 158 euros prélèverait près de 42 milliards d'euros par an en France, ce qui permettrait de doubler quasiment le financement public des transports en commun ! De la transparence et une vision de long terme, tout le contraire de la stratégie suivie par les gouvernements depuis la mise en place de la taxe carbone en 2014.
Article paru dans Les Echos le 6 juillet 2022. Copyright Les Echos.fr
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