La stratégie nationale bas carbone est un bon outil de planification écologique qui permet d'étaler les efforts dans le temps. Gare toutefois à ne pas trop différer ses efforts à plus tard. Car en matière de réduction d'émissions de CO2 , il faut savoir courir pour arriver à temps.
La façon d'appréhender sur le plan économique le climat a profondément changé au cours de la dernière décennie. L'approche coût-avantage consistait à suivre la démarche d'un actuaire d'une société d'assurance : estimer les dommages induits à terme par une tonne de CO2, puis en déterminer l'équivalent monétaire aujourd'hui en tenant compte de la probabilité de réalisation du risque. Cette valeur carbone indique les bénéfices à attendre de la lutte contre le réchauffement, ce qui détermine le degré d'efforts à engager dès aujourd'hui.
Remplacer les chaudières à fioul par des pompes à chaleur permet d'émettre moins à un certain coût, de l'ordre de 50 euros quand on le ramène à 1 tonne de CO2 évitée. Une valeur carbone supérieur à 50 euros indique qu'il faut dès aujourd'hui engager ces transformations. Les estimations convergent aujourd'hui vers des valeurs supérieures, dans une fourchette comprise entre 100 dollars et 200 dollars. Mais ces calculs restent complexes et très sensibles aux hypothèses.
Un tournant s'est produit avec le basculement vers un objectif plus facile à appréhender : un plafond sur l'ensemble des émissions à venir, le budget carbone. Cette évolution s'appuie sur des résultats scientifiques, publiés notamment dans la revue « Nature » en 2009, montrant que l'effet à terme du CO2 sur la température ne dépend pas de la date de son émission. Il suffirait alors de respecter un certain volume d'émissions cumulées : le GIEC a ainsi annoncé qu'il fallait ne pas émettre plus de 1.150 milliards de tonnes de CO2 pour avoir deux chances sur trois de ne pas dépasser un réchauffement de 2 °C. Cette approche coût-efficacité se traduit également en valeur carbone avec une différence de taille.
Le rythme des efforts est décidé par le politique, sous la forme d'une trajectoire de réduction des émissions respectant le budget carbone.
La France a annoncé suivre une trajectoire presque linéaire de baisse des émissions pour atteindre zéro émission nette (la neutralité carbone) en 2050.
Cette stratégie nationale bas carbone (SNBC) se traduit par une valeur carbone basse au départ, supposée partir de 87 euros en 2020 pour grimper à 750 euros en 2050. Cela reflète le besoin
d'étaler les efforts en comptant sur les technologies à venir, mais est décidé de façon arbitraire.
Il aurait fallu déterminer comment allouer au cours du temps une ressource rare, l'énergie carbonée, en tenant compte des risques en présence : économique, climatique, technologique.
Selon les travaux de l'économiste Christian Gollier, la valeur carbone devrait partir d'un niveau élevé, de l'ordre de 160 euros. Autrement dit, les efforts supposés être engagés actuellement sont insuffisants. Surtout, la notion de budget carbone revient à se limiter à une vision optimiste et binaire : tout va bien si nous restons sous le seuil de 2 °C, un objectif que nous comptons bien atteindre. Mais même un réchauffement de 1,5 °C occasionnera des dégâts et il vaut mieux qu'il se produise le plus tard possible. Le timing redevient essentiel, d'autant plus si nous ne parvenons pas à limiter la hausse de température à 2 °C : à quel moment la planète se réchauffera-t-elle de 2 °C, de 3 °C ?
Si le changement climatique survient trop vite, technologies et investissements pour s'y adapter ne seront pas là à temps. La SNBC est un véritable outil de planification écologique, essentiel sur le plan opérationnel mais l'approche en budget carbone, et l'objectif de neutralité carbone en 2050, ne doivent pas être un prétexte pour reporter les efforts à plus tard.
Article paru dans Les Echos le 8 juin 2022. Copyright Les Echos
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