« Pourquoi la plupart des choses que vous savez sur le sexe sont fausses. »
Ce titre n’est pas paru en « une » d’un tabloïd britannique à sensation, mais dans la revue scientifique Nature du 19 février. L’auteure, Claire Ainsworth, ne parle pas, rassurez-vous, de la large gamme de nos comportements sexuels, mais des mécanismes de détermination génétique des organes sexuels, et donc plus généralement de l’identité sexuelle de l’individu.
Ces dernières années ont vu un bouleversement des idées reçues concernant ces mécanismes, qui s’avèrent plus complexes et aboutissent à des résultats plus « divers » qu’imaginé jusqu’ici. Cette nouvelle compréhension devrait faire réfléchir ceux qui pensent que la part de la biologie dans la détermination du genre est plus simple à décrire que celle de la culture. Ou encore ceux pour qui le fait d’être homme ou femme est une identité agréablement binaire dans un monde où les autres
dichotomies se dissolvent souvent dans cinquante nuances de gris. Pendant longtemps, les chercheurs ont pensé que le développement de l’anatomie femelle était l’option par défaut de l’embryon, et qu’il fallait le déclenchement d’un processus spécifique pour détourner ce développement en direction du mâle. En 1990 a même été découvert le gène SRY, qui semblait le chef d’orchestre de ce processus.
Mais depuis 2000, d’autres gènes ont été découverts qui interviennent activement dans la direction de la femelle – comme le gène WNT4, dont la présence de copies supplémentaires est capable de produire des ovaires rudimentaires même chez les individus aux chromosomes XY, en principe mâles.
Compromis fragile
Les technologies de biologie cellulaire ont aussi révélé qu’il n’y a pas toujours les mêmes gènes dans toutes les cellules du corps. Certains individus sont des mosaïques de cellules XX et XY – à la suite d’une perte du chromosome Y dans un sous-ensemble de cellules pendant le développement embryonnaire, ou à cause d’un échange de cellules à travers le placenta de la mère, etc. La détermination du sexe d’un individu ressemble donc moins à un processus contrôlé par un simple interrupteur qu’à un compromis fragile entre deux armées de gènes qui luttent en faveur du masculin ou du féminin. Le nombre et la variété des dysfonctionnements potentiels de ce processus sont immenses ; selon certains chercheurs, jusqu’à 1 % de la population est susceptible de subir ceux-ci. Et le compromis peut être déstabilisé bien longtemps après que l’individu est devenu adulte. Les conséquences pour les individus concernés sont souvent difficiles,
certes, mais n’y a-t-il pas là une interrogation pertinente vis-à-vis de notre conception générale du sexe et du genre ? Une procédure juridique a été lancée, en 2013 aux Etats-Unis, par la famille adoptive d’un enfant né avec des organes sexuels ambigus, contre l’Etat de Caroline du Sud dont les médecins avaient ordonné une chirurgie de réaffectation de genre. Celle-ci s’était révélée en désaccord avec l’identité psychologique affirmée plus tard par l’enfant.
Choix entièrement privé
Le litige est encore en cours, mais les enjeux sont importants : il s’agit de donner la priorité juridique à une identité psychologique choisie par l’individu et susceptible peut-être d’évoluer dans le temps, ou à une identité médicale choisie pour lui peu après la naissance par des experts. Mais l’observation scientifique de la détermination du genre permet aujourd’hui de se demander pourquoi la loi exige un tel choix. Du moment où la légitimité de la discrimination sexuelle est remise en question dans le fonctionnement d’une société, la pertinence du choix d’une identité mâle ou femelle devient secondaire. Peut-on imaginer un avenir où le genre d’un individu serait un choix entièrement privé, comme celui de sa religion dans un Etat laïque ?
On est encore loin de tirer officiellement de telles conclusions, tant les discriminations réelles, sur le marché du travail comme dans les comportements sociaux, demeurent profondes. Mais les progrès de la science devraient nous faire réfléchir.
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