La déforestation est responsable de 10 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. La forêt amazonienne illustre bien la tragédie environnementale qui se cache derrière ces chiffres. La déforestation y a atteint un pic en 2004, avec 2,8 millions d’hectares, l’équivalent de la Belgique, déboisés en l’espace d’une année seulement.
Pour sauver la forêt amazonienne, plusieurs options sont aujourd’hui sur la table : instaurer des zones protégées, interdire et mettre à l’amende les coupes d’arbres en forêts, ou au contraire subventionner les propriétaires forestiers pour les inciter à conserver leurs forêts intactes.
Un exercice difficile
Mais quelle est la politique la plus efficace ? Mesurer l’impact d’une politique anti-déforestation est un exercice difficile, qui requiert de pouvoir distinguer les avancées obtenues grâce à une telle politique de celles liées à d’autres éléments de contexte.
Dans les années 2000, par exemple, la déforestation en Amazonie a considérablement diminué, mais cela est-il dû à la mise en œuvre par le gouvernement brésilien d’une politique de régulation rigoureuse et d’une surveillance accrue de la forêt à partir d’images satellites ? Ou bien est-ce simplement parce que les prix de la viande bovine et du soja ont baissé, réduisant d’autant l’incitation à déboiser la forêt pour y implanter des cultures ?
Autre exemple : si l’on observe que les propriétaires qui reçoivent une subvention pour maintenir leur forêt sur pied déboisent moins que les autres, est-ce parce que la compensation financière les a réellement détournés de l’activité de déforestation ? Comment savoir si ces propriétaires n’auraient pas coupé moins d’arbres dans tous les cas, même sans avoir obtenu d’aides ?
Exploiter des « expériences naturelles »
La manière la plus fiable d’évaluer le véritable impact d’une politique est de mener une expérimentation aléatoire contrôlée (« randomisation », dans le langage des statisticiens). Comme lors d’une expérimentation médicale visant à tester l’efficacité d’un médicament, il s’agit de sélectionner au hasard deux groupes de propriétaires forestiers et de mettre en place la politique anti-déforestation dans un des deux groupes seulement. L’autre groupe, ou groupe de contrôle, permet par comparaison de mesurer l’effet de la politique.
Or, que nous disent les expérimentations contrôlées sur l’efficacité des politiques de lutte contre la déforestation en Amazonie ? Rien, malheureusement. A ce jour, en effet, aucune expérimentation n’a encore été réalisée dans cette région du monde, et celles qui ont été menées ailleurs se comptent sur les doigts d’une main.
Lorsqu’il n’est pas envisageable de réaliser une expérimentation contrôlée, les économistes tentent d’exploiter des « expériences naturelles », c’est-à-dire des situations où les chances pour un individu d’être exposé à la politique en question sont aussi aléatoires qu’elles auraient pu l’être dans le cadre d’une expérimentation contrôlée.
En étudiant de cette manière l’introduction de subventions environnementales à destination des agriculteurs français en 2000, avec Julie Subervie, de l’Ecole d’économie de Toulouse et de l’Institut national de la recherche agronomique, nous avons montré que ces subventions avaient effectivement permis de changer le comportement des agriculteurs, mais qu’elles avaient également rémunéré en partie les agriculteurs pour faire ce qu’ils auraient réalisé même sans subvention.
Créer un fonds d’évaluation
Jennifer Alix-Garcia, de l’université du Wisconsin, et Hendrik Wolff, de l’université de Washington, rapportent que des programmes de subvention ont permis de réduire les taux de déforestation de 50 % au Mexique et au Costa Rica. Gabriela Simonet, chercheuse à la chaire économie du climat à Paris, et ses coauteurs ont obtenu des résultats similaires pour des programmes menés dans la forêt amazonienne. Eduardo Souza-Rodrigues, de l’université de Toronto, a montré que ces subventions pouvaient être plus efficaces que d’autres politiques comme la création de zones protégées.
Arthur van Benthem, de l’université de Pennsylvanie, et Suzi Kerr, de Motu (un think tank néo-zélandais), ont par ailleurs montré que des accords impliquant des régions ou des pays entiers comme ceux qui lient aujourd’hui la Norvège au Brésil et à la Guyane pouvaient être plus efficaces que les approches locales. Ces premiers travaux sont certes utiles, mais ils restent trop peu nombreux. Seuls les résultats d’expérimentations rigoureuses et répétées pourront nous indiquer quels sont les outils les plus efficaces pour lutter contre la déforestation en Amazonie.
La conférence COP21 pourrait être l’occasion d’une discussion cruciale sur la création d’un fonds d’évaluation des politiques de lutte contre la déforestation, permettant la réalisation d’expérimentations randomisées, nombreuses et à grande échelle. Pour sauver la forêt amazonienne, nous devons agir vite. Mais si nous nous précipitons sans prendre le temps d’évaluer ce qui marche et ce qui ne marche pas, nous risquons de faire plus de mal que de bien.
Article publié dans Le Monde (accès abonnés)