Daniel Ershov a rejoint TSE en 2017 au sein du groupe de recherche économie expérimentale et empirique. Il s’intéresse notamment à la concurrence, à la régulation et aux marchés numériques. Il a récemment travaillé sur la réorganisation du Google Play Store et nous présente ses principales conclusions.
Contrairement à ce qui était attendu, l’arrivée d’internet n’a pas éliminé les coûts de recherche pour les consommateurs. En effet, avec l’augmentation du nombre de produits disponibles, la visibilité en ligne est un enjeux majeur pour les consommateurs, les entreprises et les régulateurs. Les entreprisent ont en effet peu d’intérêt à développer ou à investir dans des produits de haute qualité si ceux-ci ne peuvent pas être trouvés par les consommateurs. Les régulateurs s’inquiètent des plateformes qui, en modifiant leurs algorithmes, influencent l’entrée de nouveaux acteurs, les incitations à l’investissement et le degré de concurrence. Ces considérations ont joué un rôle prépondérant lors de l’amende de 2,4 milliards d’euro infligés à Google par la Commission européenne.
La littérature existante sur les coûts de recherche se concentre surtout sur leur effet sur les prix et ignore complètement, ou presque, leur impact sur les barrières à l’entrée ou sur la qualité des produits proposés. Ces effets sont pourtant extrêmement important, notamment pour les nombreux marchés en ligne sur lesquels les prix sont uniformes (comme iTunes) ou nuls (Soundcloud par exemple). Dans un article récent, j'ai examiné comment les coûts de recherche des consommateurs sur les marchés en ligne affectent la structure de marché, la variété de l’offre, la qualité des produits et le bien-être des consommateurs.
J’ai étudié ces effets à l’aide des données du Google Play Store, le catalogue d’applications d’Android, dans lequel la plupart des produits sont en téléchargement gratuit. Les catalogues d’application présentent un immense nombre de produits, dont des milliers de nouveautés chaque semaine, et il est très coûteux pour le consommateur de trouver le produit qu’il souhaite.
Les catalogues d’application sont généralement divisé en deux sections distinctes, l’une réservée aux jeux et l’autre à tous les autres types d’applications, puis en catégories plus précises. Les enquêtes menées laissent penser que les consommateurs naviguent avant tout à l’aide de ces catégories. J’ai profité de la nouvelle organisation du Google Play Store mise en place en mars 2014 par Google, qui a divisé les 6 catégories de jeux en 18. La plupart des analystes de l’industrie s’accordent à dire que cela a réduit les coûts de recherche pour les consommateurs. Avant ce changement, les consommateurs naviguent dans des catégories regroupant plusieurs types de jeux différents, et il était donc plus difficile pour eux de trouver l’application la plus pertinente à leurs besoins.
La réorganisation du catalogue n’a pas été annoncée aux développeurs de jeux et n’a pas eu d’impact sur les autres catégories. En appliquant la méthode des doubles différences j’ai pu constater trois effets majeurs : il y a tout d’abord eu une augmentation de 33% du nombre de nouveaux jeux par rapport au nombre de nouvelles applications dans les autres catégories. Ensuite, cette hausse a essentiellement représenté des applications qui couvrent des marchés de niche et qui étaient dont invisibilisées avant la réorganisation. Enfin, la qualité des nouveaux jeux, si l’on se fie aux avis laissés par les utilisateurs, a baissé en comparaison de la qualité des autres applications du Google Play Store. Ces résultats, en adéquation avec les prédictions théoriques, sont une nouvelle confirmation empirique.
L’impact global de la réorganisation sur le bien-être des consommateurs n’est pas facile à mesurer dans la mesure où la plupart des applications sont gratuites. De plus, les différents impacts de la réorganisation indiquent des conclusions différentes. Le bien-être des consommateurs devrait augmenter du fait de la plus grande variété de produits et de la baisse des coûts de recherche, cependant, les consommateurs apprécient la qualité et, une part plus grande de produits de moindre qualité réduit donc leur bien-être. D’autant plus qu’une augmentation de l’offre de produits de basse qualité rend plus difficile la détection des meilleurs produits.
Pour mesurer et décomposer les implications de la réorganisation, j’ai mis en place un modèle structurel des recherches des consommateurs, de la demande et de l’entrée de nouveaux produits. J’ai constaté que le bien-être avait augmenté de 60% suite à la réorganisation et que la plupart des gains de bien-être ont été le fait de la réduction des coûts de recherche. Néanmoins, près de 25% des gains ont été dues à une plus grande diversité de produits qui a eu un effet plus fort que la baisse de qualité. Ces résultats ont des implications importante pour les cas de monopole en ligne. Ils sont une première preuve que lorsque les coûts de recherche augmentent pour les consommateurs, leur bien-être baisse de deux façons : une baisse due au plus grands coûts de recherche et une baisse indirecte due à l’impact sur la variété des produits disponibles.