De l’influence de Fox News sur la victoire de Donald Trump

9 Novembre 2017 Economie numérique

Les médias sont-ils capables d’influencer le comportement des citoyens, ou sont-ils juste un miroir dans lequel sont reflétées leurs envies et leurs idées déjà existantes ? Tout le monde a son opinion sur la question, qui devient de plus en plus importante au regard des révélations de tentatives de manipulation électorale aux Etats-Unis, en France et ailleurs, émanant de la Russie, ainsi que des ambitions de contrôle médiatique des régimes autoritaires dans d’autres pays.

Mais les preuves scientifiques manquent sérieusement, notamment à cause de la difficulté de distinguer entre la persuasion par les médias (lorsque les citoyens changent leur comportement en raison de leur consommation médiatique) et la sélection par les médias (lorsque les citoyens choisissent leur consommation médiatique selon ce qui conforte leurs comportements préférés). Un article de l’American Economic Review fait un premier pas important pour distinguer ces deux effets (« Bias in Cable News : Persuasion and Polarization », par Gregory J. Martin et Ali Yurukoglu, American Economic Review, 107/9, lien vers PDF en anglais).


Impact persuasif

L’astuce utilisée par les auteurs consiste à observer que la mise en place progressive de grands réseaux câblés aux Etats-Unis à partir des années 1990 a créé une variation des chaînes de télévision disponibles pour des populations locales différentes. Fox News, créée à la fin des années 1990 et active lors d’une élection présidentielle pour la première fois en 2000, apparaissait à divers endroits dans les bouquets offerts par les opérateurs – parfois assez haut dans la liste, lorsqu’il y avait peu de chaînes, parfois plus bas, lorsque d’autres chaînes occupaient déjà la place.

Ses principales rivales, notamment CNN et MSNBC, ont dû subir elles aussi de telles variations de place dans les listes des chaînes de chaque bouquet. Ceci peut paraître sans importance, mais la variance du positionnement des chaînes induit une variation du temps de visionnement par les téléspectateurs, de plusieurs minutes par semaine en moyenne. Et cette variation induit à son tour une variation de la probabilité de voter pour le candidat préféré de la chaîne. Cet effet devient plus important pour Fox News au fur et à mesure que son positionnement idéologique devient plus marqué.
Pour un électeur situé au centre de l’opinion politique, les auteurs estiment qu’une hausse de trois minutes par semaine passées devant Fox News augmente la probabilité de voter pour le candidat républicain de 0,42 point de pourcentage à l’élection de 2000, et jusqu’à 1 point de pourcentage en 2008. L’effet est bien moins important pour CNN et MSNBC, qui favorisent les candidats démocrates, mais avec visiblement moins d’impact persuasif.


Effet de sélection

La persuasion n’est évidemment pas incompatible avec un effet de sélection. Les auteurs estiment qu’un électeur dont les préférences idéologiques correspondent à celles de Fox News a une probabilité 45 % plus élevée de regarder Fox News plutôt que MSNBC. Le positionnement idéologique de chaque chaîne est mesuré par une analyse textuelle de la fréquence d’utilisation de certaines expressions, tirées du langage utilisé dans les discours d’élus dont le positionnement idéologique est connu par leurs votes à la Chambre des représentants. Selon cette mesure, l’influence de Fox News a augmenté entre 2000 et 2008 en partie à cause de la hausse importante du nombre de téléspectateurs, en partie à cause du virage idéologique de la chaîne vers la droite durant cette période.

Selon le résultat global de l’analyse, l’influence de Fox News équivalait à une augmentation du niveau de vote pour le candidat républicain de 0,46 point de pourcentage en 2000, de 3,59 points en 2004 et de 6,34 points en 2008. Il s’agit donc d’un impact majeur, même si le chiffre reste spéculatif car extrapolé à grande échelle à partir de l’impact de petites variations de la disponibilité de Fox News selon les régions.
 

Article publié dans le ©MONDE ECONOMIE