Le directeur général de la Toulouse School of Economics et docteur en économie de l’UCLouvain évalue le poids financier du changement climatique. Selon lui, la note sera salée.
Christian Gollier, docteur en économie de l’Université catholique de Louvain et directeur général de la Toulouse School of Economics est également le président de l’Association européenne des économistes de l’environnement. Le Belge met le coût des changements climatiques et des épisodes météorologiques intenses et fréquents sur un même pied que ceux liés à notre nécessaire adaptation vers une société décarbonée. Dans un cas comme dans l’autre, la note sera salée.
Ces dernières heures, une bonne partie de la Wallonie est sous les eaux après des pluies violentes, à répétition. Quel est l’impact économique réel des épisodes météorologiques extrêmes induits par les changements climatiques?
Dans l’histoire récente de l’humanité, on voit bien qu’au cours de ces cinq derniers siècles il y a une corrélation forte entre le climat et la capacité des nations à produire de la valeur économique. On sait que c’est à proximité de l’Équateur que se concentrent les pays pauvres et ce parce que la chaleur a un impact direct sur la productivité du travail. Quand il fait très chaud, le corps est moins capable de produire de l’énergie pour exécuter des tâches.
Toujours en ce qui concerne la température, on voit bien que pendant les périodes d’examens des étudiants, quand les salles de cours affichent une température supérieure à 22 degrés, les résultats sont moins bons.
Je connais moins bien les impacts liés à la pluviosité sur les activités économiques. Toutefois, il me semble évident que pour certains secteurs, comme l’agriculture, une pénurie ou au contraire un surplus de précipitations a un impact direct sur les récoltes. En particulier en ce mois de juillet.
Des rivières et des fleuves qui sortent de leur lit, des bâtiments et des voiries inondés, des maisons qui s’effondrent: la situation actuelle touche fortement le bâti. Quelles leçons faut-il tirer de ces événements qui ont tendance à se répéter de plus en plus fréquemment en Belgique?
Les changements climatiques ont et vont avoir un impact croissant sur les bâtiments. Une sécheresse extrême peut fragiliser les murs en les amenant à se fissurer. Un excès d’eau entraîne d’autres types de problèmes. Clairement, il faut repenser en profondeur, et il faut le faire maintenant, les problèmes et les solutions liés à l’aménagement du territoire. Il faut interdire la construction d’immeubles dans les zones les plus inondables.
Cela met aussi sur les épaules des bourgmestres des responsabilités fortes, dont celle d’interdire des constructions dans certaines zones. Avec comme corollaire le fait que certains habitants risquent d’aller s’établir ailleurs, ce qui à terme représente un manque à gagner en impôts pour la commune. Ces tensions vont augmenter avec la fréquence des événements météorologiques intenses.
Les coûts liés à ces événements à répétition sont-ils soutenables pour les compagnies d’assurance?
Les assurances qui disséminent beaucoup les risques n’incitent pas à construire loin des zones inondables. Dans des systèmes trop généreux, trop mutualisés, qui offrent les mêmes garanties à tous les propriétaires, que ceux-ci disposent d’un bien au sommet d’une colline ou au contraire à côté d’une rivière, on n’incite pas les gens à habiter dans des zones de moindre risque.
Ces épisodes météorologiques intenses vont-ils avoir une influence sur les primes?
Qu’il s’agisse d’assurances mutualisées ou non, le mécanisme est clair. Les primes d’assurance augmentent quand le nombre de sinistres augmente. L’assureur ne dispose pas de caverne d’Ali Baba dans laquelle il peut aller puiser pour indemniser les victimes de catastrophes climatiques, lesquelles sont en augmentation. C’est donc de toute façon l’assuré qui va payer. La question est de savoir si l'on va continuer à disséminer cette augmentation de la sinistralité dans des primes qui sont uniformément distribuées sur l’ensemble de la population ou plutôt si l'on va cibler les personnes qui s’établissent dans les zones à risque. Il y a des habitants qui sont inondés pratiquement chaque année. Ce qui veut dire que chaque année, ils reçoivent une indemnité qui est en réalité payée par l’ensemble de la communauté. Un jour il faudra mettre un holà à cette situation.
Utiliser la mutualisation comme base, c’est un pousse-au-crime pour les futurs propriétaires, qui ne vont pas hésiter à s’installer dans les zones à risque. Ceci dit, on peut essayer de faire de la mutualisation. Je pense que c’est désirable. Mais en même temps, cela implique qu’on transfère la responsabilité aux aménageurs de territoire, en particulier les communes. On détruit de la valeur sociale en maintenant des systèmes qui n’allouent pas notre aménagement du territoire de façon intelligente. C’est un vrai débat.
Pompiers, services de secours, travaux en tous genres induits par les événements météorologiques extrêmes: les coûts publics de ces catastrophes naturelles récurrentes sont eux aussi importants. Quelles sont les évolutions envisageables?
Clairement, on va devoir s’adapter aux changements climatiques. Et cela va être très coûteux. On n’a pas réussi à se passer des énergies fossiles au cours des trente dernières années, et cela va rester compliqué dans les décennies à venir. Notamment dans les pays en voie de développement. Quoi qu’on fasse en matière de réduction des émissions de CO2, on va de toute manière devoir s’adapter et payer les coûts induits par ces changements en cours. Par exemple, en isolant mieux nos habitations, en les équipant de systèmes de ventilation, de refroidissement pour mieux lutter contre les vagues de chaleur. Il y va de notre survie.
Cela implique aussi qu’il va falloir repenser la taille des services de secours et des investissements à faire dans ces services. Cela aussi se fera sur le dos de la collectivité. En 2007, on chiffrait déjà la perte du PIB de l’ordre de 30 % si on ne faisait rien vis-à-vis des changements climatiques. 30 % du PIB, c’est considérable.
Ces adaptations, dont vous parlez, ne constituent-elles pas parallèlement de formidables opportunités économiques pour toute une série de secteurs?
Bien sûr que cela va créer certains types d’emplois! Mais cela va aussi réduire le pouvoir d’achat des gens. Prenons l’exemple des panneaux photovoltaïques que l’on peut installer sur son toit et qui bénéficient de subventions, puisqu’il s’agit de produire de l’énergie de manière décarbonée.
Ces panneaux ont un coût. Un coût que la société va devoir affronter. Ce qui va avoir comme effet que les revenus de la société, au lieu d’être alloués à l’ensemble de la population, par exemple pour lui permettre de partir en vacances, vont être alloués à la construction et au placement de ces panneaux. Ce qui est sans doute bon pour les électriciens et pour les générations futures. Mais nettement moins pour les mineurs polonais ou les employés et ouvriers des centrales à charbon, ou d’autres dans les pays d’Europe occidentale. Ou globalement pour l’ensemble de la population.
L’équation est simple. Remplacer une énergie peu chère, comme le pétrole ou le gaz naturel, qui bien entendu sont à la source des problèmes de réchauffement climatique contre lesquels nous voulons lutter, par une énergie plus chère aujourd’hui, comme le photovoltaïque ou l’éolien, ce n’est pas bon pour le pouvoir d’achat des ménages.
Le plan de la Commission européenne "Fit for 55", qui prévoit une diminution des émissions de gaz à effet de serre en Europe de 55% entre 1990 et 2030 et qui vient d’être présenté, va dans le bon sens selon vous?
C’est très bien d’avoir ce type de plan très ambitieux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’Union. Mais maintenant, il faut passer à l’acte. On a là un challenge extraordinaire à relever. En 30 ans, entre 1990 et 2019, on a réduit nos émissions de 20 %. Là, il reste 9 années pour réduire nos émissions de 35 %… Il va falloir mettre les bouchées doubles. On ne va pas pouvoir y arriver si tous les acteurs, tous les émetteurs européens, n’intègrent pas le prix du carbone dans leurs fonctionnements, dont vous, dont moi.
Ce plan va notamment obliger la Belgique à mettre un prix sur le carbone. Elle va ainsi devoir intégrer dans le prix de l’essence à la pompe ou du litre de mazout de chauffage le coût des conséquences que l’utilisation de ces énergies engendre sur l’environnement. Les factures vont s’alourdir. Mais c’est une bonne solution: faire payer tous les émetteurs de CO2 pour les pollutions qu’ils engendrent, y compris dans le secteur du transport et du résidentiel, plutôt absents de ces mécanismes jusqu’à présent.
Interview de Christian Du Brulle, paru dans L'Echo le 15 juillet 2021
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