La sécurisation de l’approvisionnement énergétique des géants du Net

8 Janvier 2025 Energie

En réduisant les besoins de déplacement, en automatisant la production, en permettant de généraliser les meilleures pratiques, en facilitant les démarches administratives et les opérations financières, la numérisation nous conduit vers une économie plus sobre en énergie et en nuisances environnementales. Néanmoins, elle nécessite un approvisionnement régulier en électricité que les fournisseurs de services numériques sécurisent par des contrats de long terme, et même par des prises de participation dans l’industrie électrique.

Une économie 3.0 gourmande en énergie 

Si l’on s’en tient à la seule consommation annuelle d’électricité d’un smartphone (de l’ordre de 10 Wh/j x 365 jours= 3,65 kWh pour sa recharge quotidienne d’après CDE), avec une estimation de 70 millions de smartphones en France, on atteint le chiffre de 255 GWh par an, ce qui peut sembler négligeable comparé aux 445 700 GWh de la consommation totale en 2023. Néanmoins, les besoins en énergie de l’économie numérique ne se limitent pas à la consommation des smartphones. Ils englobent également ceux de toute l’infrastructure mobilisée lors de l’usage des smartphones, des ordinateurs personnels et de bureau, et des serveurs dédiés au stockage des données consultées.

Lors de la conception des centres de données, il est possible de réaliser des économies d’énergie importantes en adoptant des règles strictes pour l’alimentation électrique, le système de refroidissement et la récupération de chaleur, sans oublier les exigences en matière de soutenabilité environnementale (voir Schneider electric). Il n’en reste pas moins vrai que la numérisation galopante et le développement de l’Intelligence Artificielle provoquent des investissements massifs dans de nouveaux centres de données dont la consommation d’énergie, encore raisonnable à l’échelle des pays qui les hébergent (de l’ordre de 1% d’après l’Agence Internationale de l’Energie), est en croissance régulière.  Elle est également source de problèmes de réseau à cause de la concentration géographique de ces besoins. Il faut, et il faudra de plus en plus, disposer de quantités importantes d’énergie livrées en des nœuds particuliers du réseau, de façon plus régulière que ce que peuvent proposer les énergies renouvelables. Il n’est donc pas étonnant de voir les géants du numérique sécuriser leurs approvisionnements par des contrats de long terme avec les opérateurs de centrales contrôlables, et même, pour certains, en investissant dans l’industrie électrique. 

Microsoft et Constellation liés par un contrat à Three Mile Island

Le 28 mars 1979, le réacteur n°2 de la centrale nucléaire de Three Mile Island (Pennsylvanie) subissait une fusion partielle à la suite d’un dysfonctionnement de son système de refroidissement. Il est en cours de démantèlement par EnergySolutions. L’unité n°1 a continué de produire jusqu’en 2019, année où elle a été arrêtée par manque de compétitivité. Cette unité va connaitre une nouvelle vie avec le contrat signé entre son nouveau propriétaire (Constellation) et le géant du cloud computing (services informatiques hébergés) Microsoft. D’après la Société française d’énergie nucléaire, le contrat signé permettra d’alimenter les centres de données de Microsoft pour les 20 prochaines années avec les 800 MW de capacité de production du site. Avant le redémarrage prévu pour 2028, Constellation devra investir 1,6 milliards de dollars pour restaurer l’unité 1 (turbine, générateur, transformateur de puissance principal et systèmes de refroidissement et de contrôle). On voit l’intérêt que présente pour Constellation le contrat avec Microsoft qui garantit des revenus futurs pour couvrir l’investissement à réaliser. 

Amazon et Google investissent dans les SMR   

Amazon et Google se sont aussi tournées vers l’énergie nucléaire, mais à l’échelle des petits réacteurs modulaires (SMR). Amazon a investi 500 millions de dollars dans la start-up X-energy qui développe des SMR. Un premier projet, dans l’état de Washington, consiste en la construction de quatre unités pour un total de 320 MW, et une option d’expansion à 960 MW. Avec des projets similaires dans d’autres états américains, l’objectif est de déployer 5 GW d’énergie nucléaire d’ici 2039. Amazon a aussi annoncé en mars 2024 l’achat en Pennsylvanie d’un centre de données qui est lié par contrat avec la centrale nucléaire de Susquehanna, propriété de Talen Energy en Pennsylvanie.

Dans ce mouvement vers les SMR, on compte aussi Google qui a signé un accord avec Kairos Power. Il s’agit de sécuriser une capacité de 500 MW d’énergie nucléaire d’ici 2035. Aux termes de l’accord de vente d’énergie (Power Purchase Agreement), les SMR seront implantés dans les zones de service des centres de données de Google.

Et début décembre 2024, c’était au tour de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp) de lancer un appel d’offres pour identifier les développeurs d'énergie nucléaire susceptibles de l’aider à atteindre ses objectifs en matière d'innovation en IA et de développement durable.

Les inconvénients de l’intégration verticale.

Les accords verticaux agrègent contractuellement ou structurellement deux étapes de la chaine de production. Qu’elles soient contractuelles (comme pour Microsoft avec Constellation) ou structurelles (comme pour Amazon avec X-energy), les opérations d’intégration amont présentent des avantages évidents pour les parties à l’accord. Mais elles ont au moins deux inconvénients pour le reste de l’économie. 

Le premier est de réduire la concurrence sur les marchés de gros de l’électricité et de tirer les prix vers le haut.  En effet, les accords retirent un certain volume de produit (ici des MWh) des marchés sur lesquels se fournissent les concurrents des entreprises signataires. Ils peuvent ainsi ériger des barrières à l’entrée de nouvelles entreprises ou à l’expansion d’anciennes. Le dommage peut être d’autant plus grand qu’en dirigeant automatiquement des volumes importants d’énergie électrique vers certains utilisateurs, les opérations initiées par Amazon, Google et Microsoft réduisent de facto la liquidité du marché de gros de l’énergie. Comme les signataires ont rationnellement choisi des partenaires dont les coûts de production de l’électricité sont bas, les autres acheteurs d’électricité en gros font face à une offre résiduelle plus onéreuse. 

Le second inconvénient est la moindre participation au financement du réseau électrique partagé par tous les usagers. En effet, les centres de données situés près des centrales électriques qui les alimentent parviennent à contourner le réseau et ne sont donc pas solidaires de son financement. 

Pour toutes ces raisons, les autorités de la concurrence publient des lignes directrices sur les restrictions verticales, applicables à toutes les industries, et peuvent être amenées à statuer sur le bien-fondé de certaines opérations. Pour ce qui est des accords verticaux des centres de données, il est intéressant de noter que le régulateur fédéral américain de l’énergie (FERC) a rejeté en novembre 2024 une extension de 300 à 480 MW de la capacité réservée dans l’accord Talen-Amazon évoqué précédemment. La FERC a donné raison à American Electric Power et Exelon qui faisaient valoir que l'accord permettrait aux centres de données de bénéficier des avantages du réseau de transport sans avoir à les payer. Ce rejet pourrait ralentir l’engouement pour la colocalisation des centres de données et des fournisseurs d’électricité.

 

 

1 Une exception notable est celle de l’Irlande qui, avec une centaine de centres de données, a vu la consommation électrique de ces installations dépasser celle du secteur résidentiel en 2024.

 

Publié dans La Tribune 

Photo : Taylor VickUnsplash