Calme sombre dans la production d’électricité

3 Mars 2025 Energie

Un jour sans soleil et/ou sans vent n’a rien d’exceptionnel et n’a donc aucune raison de faire la une des journaux. Mais avec l’introduction dans les systèmes électriques d’un nombre croissant d’unités de production utilisant les énergies éolienne et solaire, les choses sont en train de changer. Elles changent suffisamment pour que l’Agence Internationale de l’Energie consacre plusieurs pages de son rapport Electricity 2025 à ce phénomène. 

La menace des jours de calme sombre 

L’abandon des énergies fossiles pour produire de l’électricité s’accompagne d’investissements massifs en fermes éoliennes et solaires. Ce faisant, nous (re)devenons dépendants des lois de la nature : alternance jour-nuit, cycle des saisons, déplacements des masses d’air et des nuages. Cette perte de contrôle de la production d’électricité est plus sévère dans les pays qui ne disposent pas de l’énergie décarbonée des centrales nucléaires. C’est le cas de l’Allemagne qui a arrêté ses dernières unités nucléaires le 15 avril 2023. Il n’est donc pas étonnant que ce soit le mot allemand Dunkelflaute qui s’applique aux conditions météorologiques défavorables réduisant, voire annulant, l’électricité produite à partir des renouvelables. En français, on parle de « calme sombre » (rien à voir avec le profond chagrin de Victor Hugo dans Les Contemplations, 1856). 

On peut repérer ces épisodes de deux façons : à l’échelle locale, en consultant les données météorologiques et, à l’échelle régionale ou nationale, en repérant de fortes hausses de prix sur les marchés de gros de l’électricité. En effet, sur ces marchés, les unités de production sont classées par ordre de coût d’exploitation croissant (on parle d’ordre de mérite ou d’ordre de préséance). Donc, si la production des renouvelables vient à manquer, le logiciel qui règle l’équilibre offre-demande va automatiquement appeler des centrales dont la production est pilotable mais plus mal classées dans l’ordre de mérite parce que leur exploitation est plus coûteuse. Il s’agit souvent de centrales au gaz naturel dont on sait que le prix est fortement affecté par l’instabilité politique en Europe de l’Est. Il y a toujours eu des épisodes de calme sombre mais leur impact est d’autant plus ressenti en Europe qu’ils ont lieu en hiver et que leur fréquence et leur durée sont difficilement prévisibles. Le rapport de l’AIE évoque les cas de l’Allemagne début novembre et mi-décembre 2024 (multiplication par 10 du prix du mégawattheure), et du Royaume Uni début janvier 2025.  

Solutions de court et long termes 

Le recours aux centrales thermiques n’est évidemment pas la seule façon de répondre au calme sombre, d’autant que ses épisodes varient en durée et en localisation. Une baisse momentanée de la consommation, l’importation d’électricité via les interconnexions et le puisage dans les stocks complètent la panoplie. Dans tous les cas, il faut des équipements électriques et numériques adaptés, donc des investissements coûteux. Les importations doivent venir de zones non impactées et elles supposent des lignes à haute tension qui ne soient pas saturées.  La baisse momentanée de la consommation est un sujet politiquement sensible puisqu’elle requiert une hausse brutale des prix lors des périodes de calme sombre pour être effective, si ce n’est un rationnement administré. Plutôt que de s’en remettre aux centrales brûlant des énergies fossiles, puisqu’il s’agit d’introduire de la régularité dans une production intermittente, la solution qu’on aura tendance à privilégier est le stockage des excédents de production et leur déstockage aux heures de calme sombre grâce à des batteries et au « Power to Gas » vert, c’est-à-dire la production (et le stockage) d’hydrogène par électrolyse de l’eau, puis le déstockage et la transformation de l’hydrogène en électricité dans des piles à combustible. En se basant sur un historique des cas de calme sombre, notamment l’hiver 1996-1997 en Europe, les économistes de l’Université de Berlin estiment qu’il faudrait disposer d’une capacité de stockage de l’énergie représentant 3% à 7% de la consommation annuelle.  

Le calme avant la tempête ?  

Dans son rapport Electricity 2025, l’Agence Internationale de l’Energie note que les récents épisodes de calme sombre ont été absorbés sans grand dommage par les systèmes électriques impactés, et que même s’il y a eu des hausses substantielles de prix, leur durée a été courte et donc sans effet notable sur les factures des consommateurs. C’est avec optimisme que l’Agence voit dans ces chutes de production d’énergies renouvelables des tests de résistance, passés avec succès. Mais l’avenir risque d’être plus sombre en raison de la part croissante de l’éolien et du solaire dans le bouquet énergétique, de l’électrification accrue des usages (notamment le chauffage et la mobilité), ainsi que des perturbations météorologiques plus nombreuses portées par le dérèglement climatique. Le risque est un allongement des durées de pénurie sur des zones plus vastes. Il faudrait changer d’échelle pour réaliser des simulations crédibles pour l’avenir. D’autant que nous ne sommes pas à l’abri d’un calme sombre d’origine volcanique provoqué par la projection en haute altitude de fumées et de poussières réduisant le rayonnement solaire à l’échelle planétaire et pour des périodes bien plus longues qu’une journée. Ce qui provoqua crises agricoles, famines et épidémies au Moyen Age et au début du 19ème siècle déclencherait aujourd’hui un effondrement de nos économies tant est grande notre dépendance à l’électricité.

 

Publié dans La Tribune le 28 février 2025
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