La Commission européenne (CE) a apporté sa contribution à la conférence de Paris sur la planète du 12 décembre 2017 en publiant "Dix initiatives pour une économie moderne et propre".[1] Tout comme les douze engagements internationaux[2] pris à Paris au soir du 12 décembre, la contribution de la CE parle beaucoup des milliards d'euros qu'il va falloir trouver pour financer la transition vers une économie décarbonée. Mais elle parle aussi d'immeubles et de mobilité, des jeunes et de l'Afrique, des îles, d'urbanisation et de technologies,
La finance au service du climat
La CE pose d'entrée de jeu la question du financement. Où trouver au sein de l'Union européenne (UE) les 179 milliards d'euros nécessaires au financement des investissements annuels supplémentaires qui permettront d'atteindre les objectifs fixés par la COP 21 pour 2030.[3] Et la réponse est tout aussi directe: l'argent public ne suffira pas. Il faut donc convaincre le secteur financier que, puisque la transition verte se fera nécessairement, les banques et institutions financières privées qui ne s'engageront pas dans cette voie passeront à côté de l'affaire du siècle.
La CE s'engage à lancer les réformes qui inciteront la finance privée à participer au verdissement de l'économie. Pour l'heure, on n'en est qu'aux principes et il faut espérer que les recommandations attendues en janvier 2018 du groupe d'experts sur la finance durable apporteront des éléments plus concrets. Dans leur rapport intermédiaire publié en juillet 2017, ces experts suggéraient notamment de développer un système de classification des actifs durables (sans donner une définition explicite de ces actifs), de créer une norme européenne et un label pour les obligations vertes (idem), ou encore de créer «Sustainable Infrastructure Europe», organisme chargé de conseiller les municipalités et autres autorités publiques et de les mettre en relation avec des investisseurs dans leurs projets d'infrastructure correspondant aux objectifs climatiques de l'Europe.[4]
Aider nos proches voisins
Avec plus de 20 milliards d'euros versés en 2016, L'UE et ses États membres sont les plus gros contributeurs pour les aides aux pays en développement en matière climatique. La part du budget de l'UE consacrée aux actions en faveur du climat en 2020 sera le double de celle de 2014. Avec la création d'un Fonds européen pour le développement durable (FEDD) inclus dans le Plan d'investissement extérieur,[5] la CE met en œuvre un plan destiné à soutenir l'investissement dans les pays d'Afrique et du voisinage européen. L'objectif principal affiché est de créer des emplois et lutter ainsi contre les causes profondes des migrations.
Des villes et des îles
Près des trois quarts des 512 millions d'habitants de l'UE vivent dans des agglomérations d’au moins 2000 habitants. Mais il y a aussi 15 millions de citoyens vivant dans l'une des 2400 îles de l'UE. Les pollutions urbaines pour les premiers et les risques de submersion pour les seconds sont donc des sujets de préoccupation pour la CE.
URBIS (Urban Investment Support) est une initiative de la CE pour créer un guichet unique où les villes auront accès à la fois aux conseils financiers de la Banque européenne d'investissement et aux conseils techniques des experts européens sur la manière de bénéficier des fonds de l'UE et d'accéder au capital privé pour moderniser et transformer le cadre urbain.
Avec l'initiative "Energie propre pour les îles européennes"[6], l'angle d'attaque est celui de l'abandon des énergies fossiles au profit d'énergies renouvelables. Mais au fond le problème est le même. Dans les îles et dans les grandes métropoles, il s'agit de faire vivre sur un territoire limité des populations qui, sans signaux économiques clairs sur les externalités négatives produites, ont tendance à émettre en grande quantité des polluants à l'échelle locale ou à l'échelle globale.
Parmi ces populations, les 170 millions d'Européens âgés de moins de 30 ans sont les prochains bénéficiaires de l'économie verte que l'on cherche à bâtir pour eux et, si possible, avec eux. La CE lance à leur intention un "Service Solidarité européen", doté d'un budget de 340 millions d'euros pour la période 2018-2020, dont 40 millions pour encourager de jeunes volontaires européens à participer à des projets liés à l’action climatique en Europe et à l’international.
Abandonner le charbon et moderniser l'industrie
Le charbon et l'acier qui firent la fierté et la richesse des économies développées (encore dites industrielles) à la fin du précédent millénaire et permirent le décollage de la Communauté européenne sont aujourd'hui considérés comme des activités nocives. Le charbon et ses acolytes, le gaz et le pétrole, devront rester sous terre car leur combustion dans l'atmosphère a des effets catastrophiques pour les espèces vivantes. Au sein de l'UE, c'est le charbon qui pose le plus de problèmes. Il est encore exploité dans 11 pays et 42 régions où il fournit des emplois à environ 240 000 personnes: 180 000 dans l'extraction de charbon et de lignite, 60 000 dans les centrales électriques qui les brûlent. L'éradication du charbon passe donc par des plans sociaux régionaux qui ne se feront qu'avec une mise à contribution du budget européen et une collaboration entre les régions, les autorités nationales, les syndicats de salariés et patronaux, et les experts de l'innovation et du financement, via une plate-forme permanente dédiée. Un programme de même nature est prévu pour assurer sans trop de casse sociale la transition verte de régions industrielles grosses consommatrices d'énergie. Parmi les régions pilotes, on trouve les Hauts-de-France, le Piémont et la Wallonie.
Améliorer l’efficacité énergétique
Consommer moins d'énergie sans perte de performance, voire en vivant mieux, est l'un des objectifs de la politique communautaire qui a relevé sa cible en matière d'efficacité énergétique à 30% en 2030. Ce projet ambitieux nécessite des investissements colossaux en construction et rénovation des bâtiments, mise au point et développement de technologies propres et transports intelligents. En effet, réduire les dépenses en flux d'énergie à service inchangé exige d'augmenter les dépenses en équipements qui transforment ces flux en services énergétiques. En ce qui concerne les immeubles, qu'ils soient privés ou publics, professionnels ou résidentiels, pour atteindre l'objectif assigné, il faudrait tripler les dépenses annuelles de rénovation. Il existe déjà un fonds structurel européen doté de 18 milliards d'euros pour l'efficacité énergétique sur la période 2014-2020. Mais la CE juge que ce sera insuffisant et se propose d'attirer 10 milliards supplémentaires de fonds privés ou publics en apportant sa garantie aux projets de construction réduisant la consommation d'énergie. Par ailleurs, les décideurs publics semblent freinés par les règles communautaires en matière de déficit et d'endettement quand il s'agit d'investir en hôpitaux, écoles, crèches, logements sociaux, etc. Pour lever ces blocages, Eurostat est chargé de publier un guide des règles comptables gérant les contrats de performance énergétique.
Favoriser l’innovation
Les innovations en matière climatique et énergétique seront encouragées de diverses façons. D'abord en augmentant les objectifs du programme de recherche Horizon 2020.[7] Pour inciter les investisseurs privés à se lancer dans des projets de recherche risqués, la CE veut créer un fonds de capital-risque de 1.6 milliards d'euros auquel elle participera à hauteur du quart. Enfin le Système Communautaire d'Echange de Quotas d'Emissions[8] inclura désormais un fonds pour l'innovation alimenté par le produit des enchères de 400 millions de quotas destiné à financer des investissements en technologies de rupture (par exemple production d'acier sans utiliser de charbon, aluminium sans aucune émission de CO2, ciment avec captage des émissions) et un fonds de modernisation destiné à verdir les systèmes électriques des dix Etats membres dont le revenu par tête est le plus faible. On notera que c'est le seul passage du document de la CE qui mentionne le marché du carbone.
La dernière des initiatives de la CE concerne les transports (33% de la consommation d'énergie dans l'Union). La Commission a déjà pris beaucoup d'engagements pour décarboner les transports terrestres (par exemple Connecting Europe Facility). C'est peut-être pour cette raison qu'elle reste assez floue en matière d'actions supplémentaires à venir. Le document mentionne le lancement d'une "Battery Alliance" en février 2018, l'encouragement aux investissements dans une infrastructure européenne de bornes de recharge, une modification des règles des marchés publics pour favoriser l'acquisition de véhicules propres, et le développement des plateformes intermodales.
Du passé, faisons table rase
En ce début de 2018, les dix initiatives de la Commission Juncker forment donc un catalogue impressionnant de bonnes résolutions pour la décennie à venir. Avec les moyens dont elle dispose, la Commission affiche un objectif clair : décarboner le mix énergétique en Europe mais aussi en Afrique en réorientant l’investissement vers les énergies propres (infrastructure et innovation) et l’efficacité énergétique. Pour réussir, la CE devra convaincre les investisseurs privés que les efforts demandés ne donneront pas un avantage concurrentiel à ceux qui ne suivent pas cette voie, en particulier les USA. On notera aussi que le charbon et l'acier sont explicitement rejetés (du moins l'acier produit en utilisant du charbon). L'Europe veut donc définitivement tourner le dos à la CECA (disparue en 2002) qui fut l'un des premiers piliers de la construction européenne. En revanche, on cherchera en vain dans le document une quelconque référence à l'énergie d'origine nucléaire. Euratom,[10] deuxième pilier institutionnel de l'Union existe toujours, bien que fusionnée avec la Communauté Economique Européenne en 1967. Dans les initiatives de la Commission présentées en décembre 2017, l'énergie nucléaire n'est ni encouragée ni condamnée. Elle n'existe pas. L'agriculture, pour sa part, est à peine mentionnée alors qu’elle contribue à hauteur de 10% aux émissions de gaz à effet de serre[11] et accapare 38% des dépenses de l’UE.[12] La Commission dispose donc d’une bonne marge de manœuvre pour décarboner et déméthaniser l’agriculture de demain.
[1] "EU Invests in the Planet: Ten Initiatives for a Modern and Clean Economy. The Juncker Commission's contribution to the One Planet Summit, Paris, 12 December 2017." https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/one-planet-summit-ten-initiatives-modern-clean-economy_en.pdf
[3] Rappelons qu'il s'agit de contenir l’élévation de la température de la planète en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels: http://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/l09r01f.pdf
[5] https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/factsheet_on_the_eu_external_investment_plan_fr.pdf
[8] Nous avons discuté de l'évolution de ce marché dans un billet précédent: https://www.tse-fr.eu/fr/marche-europeen-du-carbone-phase-4