Pour rendre la transition vers une énergie décarbonée acceptable, les autorités européennes encouragent les initiatives locales, notamment la formation de « communautés d’énergie ». Celles-ci regroupent des personnes physiques, des autorités locales ou des petites entreprises dans le but de gérer les ressources et les besoins énergétiques de leurs membres. Les règles de répartition des gains de chaque communauté entre ses membres sont essentielles pour sa stabilité, mais il ne faut pas négliger celles qui gouvernent les relations de la communauté avec son environnement.
Lénine, Armstrong et le village gaulois
En 1920, Lénine déclarait « Le communisme, c'est le gouvernement des Soviets plus l’électrification de tout le pays ». Quatre-vingts ans plus tard, la commission d’ingénieurs américains présidée par Neil Armstrong confirmait le rôle essentiel des grands réseaux d’électrification dans le développement économique : « L'électrification est la plus grande réalisation du vingtième siècle ». Dans les deux cas, on parle de fournir l’électricité à un maximum d’utilisateurs à partir de grands centres de production utilisant les énergies hydraulique et thermique. Pour de nombreux pays pauvres, l’électrification par grand réseau est restée à l’état de vœu pieux. Dans les pays riches, elle est remise en cause en raison de l’impact environnemental de ces réseaux. Avec le développement des technologies décentralisées éolienne et photovoltaïque, la mise en commun des ressources énergétiques à l’échelle nationale, voire continentale, ne semble plus prioritaire. Pour réussir la transition écologique, les autorités considèrent qu’il faut (re)donner du pouvoir aux « prosommateurs » d’énergie face aux grands groupes industriels.
Groupement d’intérêts
Regroupées sous le Titre IX du Code de l’Energie, les communautés d'énergie renouvelable (articles L291-1 à L291-3) et les communautés énergétiques citoyennes (articles L292-1 à L292-4) ont été créées en droit français par la Loi Energie Climat du 8 novembre 2019, en transposition du Clean Energy Package européen. L’objectif premier d’une communauté d’énergie est la fourniture d’avantages environnementaux, économiques ou sociaux aux actionnaires, membres ou territoires locaux dans lesquels la communauté exerce son activité.
Les deux types de communautés n’ont pas été créées dans le même but. Avec une communauté d’énergie renouvelables (EnR), on cherche surtout à faciliter l’acceptabilité locale des projets d’EnR et leur financement par des capitaux privés afin d’accélérer la décarbonation de l’industrie électrique. Les membres d’une communauté d’EnR doivent être situés à proximité des projets développés. Cette limitation géographique n’intervient pas dans la définition d’une communauté énergétique citoyenne dont le champ d’action est plus large. Il s’agit d’une entité juridique qui peut prendre part à la production (y compris à partir de sources renouvelables), à la distribution, à la fourniture, à la consommation et au stockage d'énergie. Elle peut également intervenir dans l'agrégation de multiples charges de consommation ou productions d'électricité, les services liés à l'efficacité énergétique ou la recharge pour les véhicules électriques (article 2 de la Directive (UE) 2019/944).
Règle de partage des gains entre prosommateurs
Pour qu’une communauté se forme, il faut qu’un nombre suffisant d’agents économiques y trouvent un intérêt, ce qui dépend de la façon dont les avantages sont partagés entre ses membres. Les conditions qui favorisent la formation d’une communauté sont par exemple la convergence d’intérêts (A et B habitent le même immeuble sur le toit duquel on peut installer des panneaux photovoltaïques) ou la complémentarité (quand A s’absente, il vend la production des panneaux installés sur sa maison à B). Partant de ces données qui déterminent la contribution de chacun à la communauté, on peut recourir à la théorie des jeux coopératifs pour identifier les règles de partage des gains qui susciteront l’adhésion de tous les contributeurs potentiels. On peut montrer que des règles couramment utilisées de partage (par personne, par capacité installée, par énergie consommée, …) ne sont pas toujours acceptables par tous les membres dont la communauté aurait besoin. L’acceptabilité passe par des règles moins intuitives, telles que la valeur de Shapley qui garantit à chaque membre de gagner au moins autant que s'il agissait indépendamment, ou la variance minimum qui minimise l’inégalité de traitement des membres (voir « On the viability of energy communities »).
Les communautés d’énergie et le réseau
Le partage des gains entre membres d’une communauté n’est qu’un aspect du problème. Restent l’intérêt des non-membres et celui de la société dans son ensemble. Il faut se demander si l’activité de la communauté est globalement positive pour la production et la fourniture d’électricité et, dans l’affirmative, si les non-membres sont totalement exclus de ces gains ou, pire, si les gains des membres ne s’obtiennent pas au détriment des non-membres. Comme les flux d’électricité suivent les chemins de moindre résistance et comme une partie de l’électricité se perd lors de son transport, l’argument de la réduction des pertes en ligne grâce à la proximité des points de consommation et de production est souvent mis en avant pour justifier les communautés en termes d’efficience (voir « The Energy Community and the Grid »). Mais l’essentiel des coûts de transport est fixe : c’est l’entretien des lignes, pylônes, et transformateurs. Ceux qui peuvent échapper aux coûts du réseau (et aux taxes afférentes) en créant une communauté d’énergies laissent ainsi une facture globale d’acheminement quasiment inchangée à régler par les non-membres, donc une facture par tête plus élevée. Cela donne aux non-membres qui en ont la possibilité une raison additionnelle de créer leur propre communauté, déclenchant ainsi un effet boule de neige dans lequel les laissés pour compte sont les ménages les plus pauvres dont l’environnement (géographique et/ou social) n’est pas favorable à la création d’une quelconque communauté d’énergies. (voir «Unintended consequences: The snowball effect of energy communities »).
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La lutte contre dérèglement climatique nécessite l’utilisation combinée de multiples outils. Les communautés d’énergie font indubitablement partie de cette panoplie. Mais, s’il est vrai que celles-ci font baisser les coûts de l’électricité, il est de la responsabilité des gouvernements d’en faire profiter tous les citoyens, y compris les plus pauvres vivant dans les régions mal dotées en ressources renouvelables. Cela passe en particulier par une répercussion des baisses du coût variable d’acheminement et par de nouveaux modes de calcul de la composante réseau des tarifs réglementés.