Cet article a été publié dans le magazine de vulgarisation scientifique de TSE, TSE Mag. Il fait partie du numéro paru à l’automne 2023, dédié au "Monde du Travail". Découvrez le PDF complet ici et écrivez-nous pour recevoir une copie imprimée ou nous partager vos impressions, à cette adresse mail.
Les femmes sont sous-représentées dans de nombreux secteurs d'activité et disciplines universitaires, mais l'écart entre les sexes dans le domaine de l'économie est particulièrement important et persistant. Aux États-Unis, en économie, il y a environ trois étudiants pour chaque étudiante et ce ratio n'a pas changé depuis plus de 20 ans. Pourquoi les progrès sont-ils au point mort ? Quelles différences d’un pays à l’autre ? Dans un article récemment publié, Emmanuelle Auriol, professeure à TSE, et ses coauteurs, ont analysé des données provenant d'environ 1 400 institutions - universités de renom, écoles de commerce et banques centrales - afin de trouver des réponses à ces questions.
"Au début de ma carrière, le fait d'être une femme était un gros handicap.” Elinor Ostrom, première femme à recevoir le prix Nobel d'économie en 2009, a fait de ce qui était considéré comme un défaut, une force. Aujourd'hui, les femmes économistes doivent encore surmonter de nombreux obstacles. Aux États-Unis, les doctorantes en économie représentent entre 30 et 35 % et pourtant, en 2019, seuls 14,5 % des professeurs titulaires étaient des femmes.
Ce phénomène dit du "tuyau percé", n'est qu'une des manifestations de la discrimination dont les femmes sont victimes en économie. De nombreux écueils empêchent ou retardent leur ascension aux postes de professeur titulaire, et si elles y parviennent, aux États-Unis, leur salaire ne représente que 75 % de celui des hommes (selon des données de 2010). Les chercheurs ont ainsi constaté que les femmes sont soumises à des normes éditoriales de publications scientifiques plus strictes, qu'elles sont évaluées de manière plus critique et que leurs publications sont moins reconnues.
Sexisme
L’environnement hostile joue également un rôle quand il s’agit de postulerà un emploi en économie. Comportements inappropriés lors d’entretiens d’embauche ou séminaires, questions “paternalistes”, interrompution lors des prises de parole... Plusieurs études, dont celle d’Alice Wu, sur le forum en ligne Economics Job Market Rumors, révèlent un sexisme profondément ancré.
Pourtant, la présence des femmes en économie est nécessaire car elles privilégient des sujets de recherche différents de ceux des hommes, travaillant par exemple davantage sur la santé, l’environnement ou l'éducation. La faible représentation des femmes aux postes les plus prestigieux implique que l'on mette moins de moyens sur ces sujets et que l'on fasse moins de publicité autour des résultats.
Pire aux Etats-Unis
Selon les données présentées dans les travaux d'Emmanuelle Auriol avec Guido Friebel, Alisa Weinberger et Sascha Wilhelm, la proportion de femmes dans les départements d'économie est d'environ 35 % en Australie et en Nouvelle-Zélande, d'environ 32 % en Europe et de seulement 26 % en Amérique du Nord.
Les meilleures institutions américaines semblent appliquer aux femmes des normes plus élevées, non seulement au niveau des promotions, mais aussi dès le niveau d'entrée. Cela peut s'expliquer par des différences de culture, de pratiques de recrutement ou de marché de l'emploi universitaire.
Les auteurs suggèrent de réfléchir au processus de recrutement : souvent les femmes s'abstiennent de postuler aux meilleurs postes universitaires parce qu'elles manquent de confiance ou d'encouragement et de mentorat de la part d'économistes chevronnées.
POUR ALLER PLUS LOIN
- Underrepresentation of women in the economics profession more pronounced in the United States compared to heterogeneous Europe, Emmanuelle Auriol and G. Friebel, A. Weinberger and S. Wilhelm, 2022.
- Plafond de verre et discrimination dans la profession des économistes, Emmanuelle Auriol, 2023.