Cet article a été publié dans le magazine de vulgarisation scientifique de TSE, TSE Mag. Il fait partie du numéro paru à l’automne 2023, dédié au "Monde du Travail". Découvrez le PDF complet ici et écrivez-nous pour recevoir une copie imprimée ou nous partager vos impressions, à cette adresse mail.
POURQUOI ÊTES-VOUS DEVENUE ÉCONOMISTE?
Lorsque j'ai commencé ma carrière, dans les années 1990, l'économie n’était pas très féminisée. Il y avait très peu de professeures, par exemple aucune à UTC. Il était difficile d'envisager une carrière dans ce domaine en l'absence d'autres femmes dont on pouvait s’inspirer. Mais j'ai choisi cette voie parce que j'ai trouvé des gens qui croyaient en moi, au-delà de mon sexe, comme Jean-Jacques Laffont. Il pensait que les choses allaient mécaniquement changer dès lors que les femmes avaient le même niveau d'éducation que les hommes. Pour lui c’était une question de génération.
LES CHOSES ONT-ELLES CHANGÉ?
Aujourd'hui, bien que les femmes soient, dans les pays de l’OCDE, en moyenne plus diplômées que les hommes, seulement un tier d’entre elles choisissent d’étudier l’économie et très peu parviennent à gravir les échelons universitaires. En économie, le plafond de verre est très épais. Avec des collègues, nous avons donc décidé de travailler sur ce sujet.
POURQUOI EST-IL IMPORTANT DE DOCUMENTER CETTE DISCRIMINATION?
La seule façon de changer les choses est de les documenter. Une fois que les gens connaissent les faits, ils doivent y faire face. Une approche scientifique impartiale apporte des résultats et des preuves, qu’il est difficile de nier. C’est le seul moyen d'être entendu sur une question aussi importante et délicate à analyser du fait des biais psychologiques qui l’accompagne.
La discrimination est par nature difficile à prouver parce qu'elle est auto-réalisatrice. Existe-t-elle en raison de différences biologiques ? Parce que les femmes ont des enfants tout en travaillant ? Cela affecte certes leur carrière, surtout au début quand les enfants sont en bas âge, mais je suis fermement convaincue que cela les rend plus efficaces dans le long terme.
COMMENT LES INSTITUTIONS DOIVENT-ELLES RÉAGIR?
Il peut être assez compliqué de mettre en œuvre des politiques publiques sur ce sujet, car même avec les meilleures intentions elles peuvent avoir des effets pervers. Le nœud du problème étant le recrutement et les promotions, les institutions doivent être conscientes de leur biais dans ces processus. Pour s’en prémunir elles doivent s’efforcer d’établir des critères d’évaluation objectifs et quantitatifs, particulièrement en matière de promotion. Les critères flous et subjectifs favorisent la discrimination.
Il est important pour des raisons d’équité de promouvoir plus de femmes à des postes seniors. C’est également très important d'avoir plus de diversité en économie - que ce soit en termes de sexe, de race ou de toute autre minorité - pour des raisons d’efficacité. Cela permettra en effet de traiter plus de sujets avec plus de créativité. Il n’y a rien de pire en recherche que l’entre soit et l’endogamie.
QUELS CONSEILS DONNERIEZ-VOUS AUX JEUNES ÉCONOMISTES À PROPOS DE CES INÉGALITÉS?
"Les femmes sont souvent interrompues lorsqu'elles parlent dans les séminaires. Soyez conscient du contexte actuel pour savoir à quoi vous attendre et travailler sur vos propres préjugés. Les femmes doivent s'assurer qu'elles savent comment gérer les interruptions paternalistes, tandis que les hommes doivent s’abstenir de faire des suggestions triviales et condescendantes."
"Pour les femmes, il peut être préférable de ne pas travailler dans des équipes composées d'hommes expérimentés. Si vous le faites, veillez à ce que votre travail soit reconnu."
"Obtenez une reconnaissance : Vous devez dire "mon travail", "j'ai découvert"... Les études montrent que si vous n'y prêtez pas attention, vous risquez de ne pas être reconnu."
"N'acceptez pas de traitements inappropriés. Et évitez d'être "complice" de la discrimination en maltraitant d'autres femmes."