Cet article a été publié dans le magazine de vulgarisation scientifique de TSE, TSE Mag. Il fait partie du numéro paru à l’automne 2023, dédié au "Monde du Travail". Découvrez le PDF complet ici et écrivez-nous pour recevoir une copie imprimée ou nous partager vos impressions, à cette adresse mail.
“Ce qui compte ce n’est pas ce que vous connaissez, mais qui vous connaissez.” Ce dicton populaire suggère que les candidats à un emploi qui ont de bonnes relations seront plus compétitifs que leurs rivaux, même s’ils ou elles sont plus talentueux et plus qualifiés. Depuis sa thèse de doctorat à TSE, Marie Lalanne (Centre commun de recherche, Commission européenne) étudie le fonctionnement du favoritisme sur le lieu de travail et son impact sur la diversité. Les différences dans les réseaux personnels et professionnels pourraient-elles expliquer pourquoi il y a si peu de femmes à des postes à responsabilité?
Malgré des décennies de progrès dans la participation des femmes à la population active, ces dernières sont encore largement absentes des postes de direction des entreprises. Le recrutement pour les emplois de haut niveau est souvent un processus informel (chasseurs de têtes professionnels, recommandations, bouche-à-oreille, etc.) de sorte que de bons contacts sont susceptibles d'être cruciaux pour gravir les échelons de l'entreprise.
Cependant, il s'est avéré extrêmement difficile de fournir des preuves tangibles pour savoir si les carrières des femmes sont freinées par des réseaux moins efficaces. De fait, il y a une forte corrélation entre "qui vous connaissez" et "ce que vous connaissez". Les personnes talentueuses et performantes sont susceptibles de constituer des réseaux plus étendus, même s'ils ne contribuent en rien à leur réussite.
Des emplois pour les hommes
Des différences subtiles dans les stratégies de mise en réseau peuvent rendre les talents des femmes moins visibles. Par exemple, alors qu'elles s'appuient davantage sur de petits réseaux étroitement liés, la tendance masculine à constituer des groupes plus importants avec des liens plus distendus peut s’avérer plus adaptée à la recherche d'un emploi et à l'avancement de la carrière. Dans ce contexte, les grands réseaux de relations peuvent fournir des informations plus utiles, ce qui l'emporte sur les avantages d'une sororité de petite ampleur mais intensément loyale.
Il est également prouvé que l'homophilie - une préférence pour l'interaction avec des personnes qui vous ressemblent - peut exacerber l'écart entre les hommes et les femmes. Si les gens préfèrent recommander leur propre genre, les postes à prédominance masculine continueront d'être occupés par des hommes. D'autres explications se sont concentrées sur les différences de comportement au sein des réseaux. Quelques études suggèrent que les hommes récompensent davantage leurs entourage que les femmes, qu'ils disposent de moins d'informations sur les compétences des femmes et qu'ils reçoivent plus d'avantages de la part des hommes.
De même, plusieurs études subjectives basées sur des enquêtes menées auprès de cadres supérieurs d'entreprises révèlent que les femmes semblent ne pas avoir les relations informelles nécessaires pour accéder aux postes de haut niveau et qu'elles tirent moins d'avantages de leurs réseaux sociaux pour leur carrière.
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Dans un article récent ("The old boy network", 2022), Paul Seabright et moi-même présentons une étude plus empirique. Nous utilisons des données de chasseurs de têtes sur les salaires et les anciens collègues de près de 27 000 cadres supérieurs de plus de 5 000 entreprises nord-américaines et européennes. Nous constatons que la taille du réseau d'un individu présente une corrélation positive importante avec ses revenus. Cela est dû en grande partie à des facteurs non observés tels que le talent ou le dynamisme, mais lorsque nous contrôlons ces facteurs, il apparaît que les réseaux ont toujours un effet positif significatif sur les revenus. Et cet effet est plus important pour les hommes que pour les femmes.
Ce résultat semble être dû à deux facteurs. Premièrement, les hommes et les femmes sont davantage aidés par leurs propres relations que par celles des autres, et les hommes en ont plus que les femmes. Deuxièmement, les entreprises qui emploient davantage de femmes à des postes de direction récompensent moins les réseaux que les autres entreprises. Les méthodes de recrutement de ces entreprises "favorables aux femmes", qui ont des conseils d'administration plus importants et des cadres plus qualifiés, peuvent s'appuyer davantage sur des critères objectifs que sur des contacts. Toutefois, la rareté des femmes aux postes de PDG suggère que ce phénomène n'est pas très répandu.
Dans une étude ultérieure ("Network-based appointments and board diversity", 2023), j'exploite des données provenant des CV des administrateurs et des nominations aux conseils d'administration dans de grandes entreprises américaines. Mes résultats soulignent le pouvoir des réseaux. Le fait d'être socialement lié à un membre du conseil d'administration augmente les chances d'obtenir un siège au conseil d'administration de 41 points de pourcentage. Mais je ne trouve que peu d'éléments indiquant que ce recrutement par réseau a une incidence sur la diversité du conseil d'administration. Cela suggère que les efforts visant à promouvoir la diversité au sein des conseils d'administration devraient plutôt se concentrer sur la diversification du vivier de candidats.
POUR ALLER PLUS LOIN
The old boy network: are the professional networks of female executives less effective than men's for advancing their careers? Marie Lalanne, Paul Seabright, 2022.
Auteur
- Marie Lalanne